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À la Valette, sur une petite île, un grand festival baroque

Propositions musicales éclectiques, lieux de concerts uniques, programmation et prestations de haute tenue : le festival baroque de la Valette a tout d'un grand événement international.

Dans les rues de la capitale maltaise, la communication autour de cette manifestation est bien discrète alors qu'en une quinzaine jours et trente-six représentations, l'offre musicale autour du répertoire musical baroque est autant de belle envergure que d'une richesse surprenante, à l'image de l'un des concerts les plus marquants de ces premiers jours de festival. Expérience unique que celle des Variations Goldberg par Hansjörg Albrecht dans le décor si luxueux et baroque de la co-cathédrale St. John. Installé sous l'immensité des dorures, le grand nombre de spectateurs a pu apprécier ce célèbre cycle non pas au clavecin ou au piano, mais à l'orgue, instrument sur lequel Jean Guillou ou Erik Feller s'étaient déjà aventurés notamment, mais aussi Martin Schmeding avec son enregistrement remarqué en 2009.

La puissance de jeu et la solide technique de l'organiste Hansjörg Albrecht jaillissent dès l'aria, sa lecture minutieuse de cette partition tenant en haleine de bout en bout grâce à des qualités de poésie, une fluidité de phrasés et une variété d'accents et de couleurs toujours opportunes. Précision et clarté sont de mises, le choix des tempi permettant une version aérée de ces variations, marquée par une sérénité élogieuse et soutenue par une musicalité empreinte d'une fraîcheur rayonnante parfaitement équilibrée. Et alors qu'une installation vidéo a été mise en place afin que le public puisse voir l'instrumentiste jouer, amusons-nous des deux orgues de cette cathédrale, dont l'un des deux est faux, seulement présent par souci de symétrie !

Un concert d'ouverture à la hauteur des espérances

Autre ambiance tout aussi réjouissante que le concert d'ouverture qui s'est déroulé la veille avec Avi Avital en tête d'affiche. Mais bien plus que la notoriété mondiale de ce jeune mandoliniste, c'est aussi la qualité interprétative de l'ensemble Cappella Gabetta qui mène cette soirée. La vitalité des attaques et la spontanéité enthousiaste des quatre violons et du violoncelle solistes confirment notre attachement pour le Concerto pour quatre violons et violoncelle en si mineur de Vivaldi, compositeur qui donne ensuite l'occasion en seconde partie du concert de faire exploser la folle virtuosité d' dont la technique paraît sans limite face à ces cordes doubles, ces figures chromatiques acrobatiques, ces arpèges modulés et cette cadence du finale diabolique dans le Concerto pour violon en ré majeur RV 208.

La prestation d'Avi Avital est quant à elle conforme à la réputation de l'artiste en proposant une transposition écrite par l'instrumentiste du Concert en ré mineur BWV 1052 et des Canons des Variations Goldberg de Bach, le mandoliniste ayant développé une carrière prestigieuse en faisant rayonner son instrument bien au-delà de son répertoire d'origine. Même constat pour les Six miniatures basées sur des chansons populaires géorgiennes de Sulchan Tzuinzadse et les Six danses populaires roumaines de , Avi Avital orientant désormais son répertoire de plus en plus vers les musiques du monde. Avec une mandoline qui semble faire littéralement partie de lui, la puissance de ce petit instrument étonne dans ce Theatru Manoel attachant par sa beauté toute italienne. Le raffinement du jeu sur ces cordes pincées convainc par une virtuosité exacerbée, mais surtout par une musicalité viscérale débordante, forte d'une tonicité sans outrance doublée d'une approche tactile raffinée.

Découvertes baroques ou baroque rock n'roll ?

Dans la même journée, voici deux propositions antinomiques dont le seul point commun est l'originalité. Durant la pause méridienne, Reiko Ichise (viole de gambe) et Jennifer Morsches (violoncelle), choisissent de mettre à l'honneur la « sensibilité » du dernier virtuose de la viole de gambe, (1723-1787), ainsi que de ses contemporains : Giacobo Cervetto (1682-1783), Antonino Reggio (1725- c.1780), Andreas Lidl (c.1750-c.1786) et Louis de Caix d'Hervelois (c.1670-c.1750), musiciens à la charnière de la période baroque et de la période classique. C'est tout naturellement que les deux interprètes présentent au fur et à mesure du concert les particularités de leur instrument respectif, la viole de gambe, instrument typique de la musique baroque, s'éclipsant durant cette période au profit du violoncelle, plus sonore.

Le climat apaisant de cette heure et demi de musique tranche avec la fougue de l' qui investit en seconde partie de soirée la scène du Teatru Manoel au profit d'un concert certes singulier, mais bien peu abouti.

Étonnement tout d'abord en voyant le déséquilibre de cette proposition qui ne fait participer véritablement l'effectif complet de l'ensemble qu'à la toute fin de soirée. C'est plutôt une configuration caractéristique du rock qui est privilégiée avec batterie, synthétiseur, guitare et basse électrique, mettant surtout à l'honneur au violon avec micro puis au violon électrique, ainsi que la soprano Emilie Rose Bry au chant. Et alors que l'on pourrait s'amuser des versions blues du Lamento della Ninfa de Monteverdi ou du mouvement lent de L'été des Quatre saisons de Vivaldi plutôt bien menées, elles restent anecdotiques face aux simples reprises sans surprise des grands tubes de Bill Halley, Elvis Presley, Chuck Berry ou Ray Charles qui composent l'essentiel de la soirée. Simple plaisir personnel des artistes qui ont plutôt l'air de faire un bœuf entre amis, plutôt qu'une véritable proposition artistique originale, La tempête (Quatre saisons, été, dernier mouvement) de Vivaldi dans une version rock par l'ensemble cette fois-ci au complet entendue déjà de nombreuses fois, ne rehausse pas l'impression bien mitigée en fin de concert.

Les réserves de la veille sont vite oubliées face au sourire et au chant magnétique de la mezzo-soprano qui réserve au public maltais le concert déjà chroniqué à Metz il y a quelques mois. Au-delà des réserves d'une programmation d'un concert intitulé «  is Farinelli » dont seuls les deux airs de Broschi (Son qual nave extrait d'Artaserse et Qual guerriero in campo armato), frère de Farinelli, sur les dix pièces et les cinq airs proposés, ont réellement été chantés par le célèbre castrat, l'élégance de la chanteuse, sa longueur de souffle étonnante et sa technique d'une précision remarquable dans des vocalises toniques explosives convainquent sans réserve. L'agilité de ses trilles font place à une solennité émouvante à travers le Salve Regina de Pergolèse et le Lascia ch'io pianga de Haendel. Des graves de velours du Cara sposa en première partie, aux aigus éclatants tenus longuement dans ces deux airs, pour , il n'y a qu'un pas que la cantatrice franchit avec une aisance et un naturel éclatants, affirmant son aura dans ce type de répertoire qui lui sied à merveille.

À ses côtés, mené par , l'ensemble fait l'unanimité autant dans l'intensité du Concerto grosso n° 10 en do majeur de Corelli que dans l'ouverture de Rinaldo (Haendel) qui entament la soirée. Radieuse, Vivica Genaux clôture sous une ovation ces trois premiers jours de festival.

Crédits photographiques : Avi Avital © Stefan Kolgen ; © Mark Zammit Cordina Photography

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