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Le rêve hongrois de Barbara Hannigan avec le Philharmonique de Radio France

dirige l' dans un programme hongrois et se transforme progressivement en musicienne « totale ».

C'est avec la Rhapsodie pour violon et orchestre n° 1 de que s'ouvre cette riche soirée « Rêve de Hongrie ». Composée il y a 90 ans exactement pour Joseph Szigeti, elle est empoignée aujourd'hui par Ji-Yoon Park (co-premier solo de l'orchestre avec Hélène Collerette), avec force vibrato et accents un brin surjoués. Il faut toutefois attendre la seconde partie de l'œuvre (« Friss ») pour que tous les musiciens se mettent réellement à l'écoute de leur cheffe, qui insuffle à l'œuvre une belle énergie et des phrasés acérés.

Saut dans le passé avec la Symphonie n° 86 de , avant-dernière des symphonies « parisiennes », commande de la Loge Olympique, mais composée à l'époque où Haydn se trouve être au service du Prince Estherazy, au Nord-Ouest de la Hongrie. Dès les premières mesures, nous plonge au cœur du théâtre « haydnien » et de ses clairs-obscurs. Malgré une battue rigide et toujours ample, la chef canadienne semble vivre et régir chaque instant de la musique, guidant les belles résonances de bois au travers du tissu arachnéen du deuxième mouvement, en passant par les textures pleines et entières au phrasé enivrant du Menuet, jusqu'à l'énergie fraîche de l'Allegro final.

Composé en 1951 dans la pleine période « bartókienne » du compositeur et créé vingt ans plus tard en 1971, le Concert Românesc (Concerto Roumain) de reprend les techniques « ethno » de son aîné, à savoir l'intégration textuelle de chants traditionnels dans la musique (quoique chez Bartók cet aspect se trouve cantonné aux Rhapsodies et aux Danses diverses). Dans l'Andantino initial, la pâte du Philhar' est souple, ample et gracile, en opposition avec la virtuosité nerveuse de l'Allegro suivant, dans lequel on apprécie la clarté des bois, arme fatale de cet orchestre. Le troisième mouvement Adagio ma non troppo développe quant à lui un tissu dense, serré, à l'image du solo de cor anglais tourmenté (impeccable Stéphane Suchanek), pour aboutir au feu d'artifice final, où le bras souverain d'Hannigan vient insuffler ce qu'il faut de joie totalement jubilatoire, dans un dialogue effréné entre le violon de Ji-Yoon Park et un orchestre tranchant et chatoyant.

Après l'entracte, le plateau s'est fait minimaliste pour accueillir avec sa casquette de chanteuse dans deux œuvres aphoristiques de György Kurtag : Les Sept Chants pour soprano et cymbalum et les quatre Souvenirs d'un soir d'hiver auquel s'ajouteront une partie de violon. Souvent sur un fil, à la frontière avec le murmure, ces pièces de Kurtág usent d'une vocalité souvent « lyrique » en opposition au cymbalum le plus souvent éclaté et fragmenté. Le dernier des Sept Chants retiendra particulièrement l'oreille, son diatonisme teinté d'angoisse colorant de manière glaçante l'atmosphère raréfié de ces courtes pièces.

Contraste total avec la Suite du Mandarin Merveilleux, venant clore la soirée. Ambiance âpre et assourdissante du fracas de la ville moderne qui ouvre cette œuvre noire, tendue et expressionniste, d'un Bartók à l'opposé total de la séduisante Rhapsodie entendue en début de concert. La tension est palpable, des paysages infernaux initiaux, à la danse lascive de la clarinette (remarquable Nicolas Baldeyrou) jusqu'aux couleurs impalpables du mouvement lent, où l'on entend dans la musique du compositeur hongrois des échos d'Alban Berg. C'est peut-être la raison pour laquelle Barbara Hannigan qui est une si grande Lulu, sculpte ainsi les contours et les éclats cuivrés de ce passage. Après une dernière danse pleine de rage, Hannigan relâche son souffle d'un geste comme un chanteur après l'effort, et clôt ainsi une puissante soirée, tellurique, colorée.

En sortant de l'Auditorium de Radio France, on se dit que le Philhar' est vraiment dans une forme olympique, mêlant individualités et son d'ensemble impressionnant de cohérence. Mais on se dit aussi que l'on a hâte d'entendre la suite de la (jeune) carrière de Barbara Hannigan à la baguette. Que « la soprano qui dirige » soit éclipsée par une véritable cheffe d'orchestre à part entière.

Crédits photographiques : Barabra Hannigan © Peter Fischli

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