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Cherkaoui, Goecke, Lindberg à l’Opéra de Paris

Ce triptyque axé sur la création contemporaine adjoint au Faun envoûtant de Cherkaoui deux nouvelles créations décevantes de et , invités pour la première fois à l'Opéra de Paris.

Le souvenir des Ballets russes et le spectre de Vaslav Nijinsky hantent les théâtres, cette saison. En même temps que la soirée « En Compagnie de Nijinsky », présentée par les Ballets de Monte-Carlo au Théâtre des Champs-Élysées, le Ballet de l'Opéra de Paris présente une soirée comportant deux reprises de ballets créés par la compagnie de Diaghilev. Deux pièces sont créées pour le Ballet de l'Opéra de Paris par deux chorégraphes rares en France, l'Allemand et le Suédois . Avec Dogs Sleep, le premier s'interroge sur les mécanismes du rêve, tandis que le second donne une version des Noces de Stravinsky qui explore la question du mariage au XXIe siècle.

Le spectacle commence avec la reprise de Faun de , créé en 2009 à Londres. Au son de la flûte de Debussy, le faune, incarné par , s'anime. Son corps souple ondule au gré des vagues de la musique, envoûtante et mystérieuse comme le poème de Mallarmé qu'elle illustre. Le décor dévoile progressivement une forêt sombre, écho du décor peint de Bakst.

Comme avant lui, Cherkaoui concentre l'action sur deux personnages, le faune et la nymphe. De la chorégraphie originale de Nijinsky, qui fit souffler un vent de scandale sur le Théâtre du Châtelet en 1912, Cherkaoui retient la sensualité du corps du faune, mais se débarrasse de la bidimensionnalité et du caractère statique des postures. Tout, au contraire, est courbes et ondulation dans sa chorégraphie. Il ajoute également à la musique de Debussy une composition de , qui s'insère de manière cohérente avec la partition originale et prolonge de quelques minutes la pièce. L'apparition de la nymphe, interprétée par Clémence Gross, laisse place à un jeu de séduction où les corps s'enchevêtrent savamment, s'imbriquent avec une sensualité folle. excelle dans ce rôle qu'il interprète avec un mélange de puissance et de délicatesse, témoignage d'une maturité artistique grandissante. Ce jeune danseur a su s'imposer au fil des saisons comme l'un des atouts de la compagnie dans le registre contemporain.

Chorégraphe associé au Nederlands Dans Theater puis artiste résident à la Gauthier Dance Company à Stuttgart, très célèbre à l'international, est peu présent sur les scènes françaises. Contrairement aux deux autres chorégraphes de la soirée, Goecke ne s'inscrit pas dans la relecture d'une œuvre des Ballets russes, même si sa bande-son mêle des extraits de Debussy et de Ravel à des compositions contemporaines. Sa pièce, qui explore la thématique du rêve, plonge les sept danseurs et danseuses dans un noir presque complet. Son vocabulaire chorégraphique met l'accent sur le travail des bras, avec une succession de gestes saccadés, comme une course effrénée qui laisse les danseurs haletants et le souffle coupé. L'importance du haut du corps est ici soulignée par un écran de fumée qui escamote les jambes des danseurs. L'on retrouve dans cette pièce les leitmotivs du chorégraphe, ses angoisses, des images qui semblent surgir d'un esprit plongé dans le brouillard. Contrairement à de très belles réussites comme son Spectre de la Rose ou son Nijinsky, Dogs Sleep donne l'impression que le chorégraphe est passé à côté de son sujet et n'a pas su tirer profit des danseurs magnifiques qu'il avait à sa disposition : rien moins que trois étoiles (, et ) ainsi que des danseurs qui excellent dans le contemporain, , et Artus Raveau. À peine parvient-on à les distinguer dans cette pénombre et derrière cet écran de fumée qui finissent par lasser. La décorrélation assumée entre la chorégraphie et la musique donne une impression pénible de désynchronisation.

Enfin, termine la soirée par une réécriture des Noces de Stravinsky, dont la chorégraphie d'origine a été conçue par , la sœur de Vaslav Nijinsky, en 1923. Le propos, qui est de s'interroger sur les évolutions du mariage au XXIe siècle, est traité de manière superficielle. La danse, résolument contemporaine, manque d'une signature forte et peine à s'imposer par rapport à musique tonitruante de Stravinsky. La force de cette œuvre d'une grande modernité, rehaussée par les voix des chanteurs solistes et de l'Ensemble vocal Aedes mené tambour battant par son chef , fait ressortir par contraste les limites de la chorégraphie. Rien ne heurte dans cette succession de courses et de duos tout en fluidité mais le sujet reste effleuré. Une rose de dimensions monumentales descend du plafond, symbolisant de manière un peu naïve le mariage ou le caractère éphémère de la passion. L'évocation de la diversité du couple aujourd'hui se limite à la présence d'un couple gay au milieu des couples hétérosexuels. À la conformité du discours se marie le manque d'originalité de la chorégraphie. Ne peut pas reprendre les Ballets russes qui veut.

Crédits photographiques : © Ann Ray / ONP

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