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La fournaise irradiante de Philippe Hersant à Radio France

Deux œuvres pour un même effectif : la puissante Messe à quatre chœurs H4 de (vers 1670) et le bouleversant Cantique des Trois Enfants dans la Fournaise (2015), sans doute une des meilleures partitions à ce jour de .

Pour ce projet né en 2015 d'une volonté commune de donner en concert la rare Messe à quatre chœurs de Charpentier, le () et la Maîtrise de Radio-France () avaient décidé conjointement de passer une commande « en miroir » à , dont la gageure résiderait dans l'utilisation du même dispositif que l'oeuvre de Charpentier : quatre chœurs de 18 chanteurs chacun, répartis dans l'espace aux quatre points cardinaux, accompagnés par quatre quatuors d'instruments anciens chacun reliés à un des chœurs (violes, violons, bois, cuivres).

En dehors d'édifices religieux, il est difficile de donner ce programme, créé en l'église du Saint-Sépulcre d'Abbeville et repris à la Chapelle Royale de Versailles, dans de bonnes conditions scéniques. Pour cette version à l'Auditorium de Radio-France, le choix a donc été fait de placer au dessus de la scène le chœur et les instruments (cuivres) prévus initialement en fond de salle. Un changement de disposition cassant la symbolique, mais n'altérant finalement que peu les effets musicaux souhaités.

Caractéristique de Charpentier, notamment dans les glissements harmoniques parfois lointains, cette rare Messe à quatre chœurs aura permis de goûter à plein les forces vives et rayonnantes du CMBV. Dans la clarté d'un latin prononcé « gallican » comme il se doit, les voix des jeunes professionnels du Centre se font solaires dès le début de l'oeuvre en perçant l'épaisse pâte du Kyrie, puis les dissonances doloristes du Christe, qui permettent d'apprécier l'incroyable timbre tranchant et translucide de la jeune Clélia Horvat. Dans le Gloria, on goûte la saveur des voix d'hommes solistes presque « droites », tandis que le Credo permet d'apprécier des tuilages entre les chœurs, à la fois d'une grande douceur et aux frottements ténus. Cette volupté harmonique si caractéristique de Charpentier se perpétue dans le Crucifixus et notamment dans un échange suave entre voix masculines. Après un Sanctus abstrait où ne perce plus que les sifflantes du mot saint, l'oeuvre s'achève dans un Agnus Dei en forme de progression vers la Joie, où les harmonies majeures et solaires retournent dans des couleurs plus conventionnelles.

Composé en miroir, le Cantique des Trois Enfants dans la Fournaise de a pour support un long texte en octosyllabes d'Antoine Godeau, poète mystique du XVIIe siècle un peu oublié de nos jours. L'inspiration de ce poème est puisée directement dans un épisode du Livre de Daniel : trois jeunes enfants, ayant refusé de se soumettre à Nabuchodonosor, sont jetés dans un brasier, et au lieu de hurler leurs douleurs, se mettent à louer les beautés du monde et de la nature.

Très diversifié dans ses atmosphères, ce long texte permet à Hersant de dresser une intense cantate avec trois voix d'enfants solistes (un ensemble malheureusement dirigé à la serpe par le bras de ne rendant pas assez justice à l'éclat des forces du CMBV), une oeuvre où se fond la rhétorique musicale baroque habituelle, convoquant ainsi scènes de tempêtes, ou passages rapides à trois temps « à la croche ». Les sections y sont courtes, cloisonnées, dans des univers bien distincts, et comme souvent chez Hersant travaillent la notion de répétition légèrement modifiée à grande échelle. C'est une pièce qui plus est caractéristique de la production récente du compositeur, usant massivement d'accords parfaits et de balancements simples et clairs. À cela ajouté une inclinaison mélodique de plus en plus marquée, et d'une redoutable efficacité.

Hersant a le goût des instruments baroques, qu'il convoque volontiers comme solistes (Le Chemin de Jérusalem pour basse de viole, ou un ensemble de cornets et sacqueboutes dans les Vêpres de la Vierge Marie). C'est donc avec un naturel confondant que « sonne » cette partition de 2015 pour un ensemble orchestral d'instruments anciens. En effet, qui mieux que Philippe Hersant sait créer en quelques notes de cornets une joie satinée et sans éclat ostentatoire, faire vrombir une salle avec une douce ligne de basson baroque, ou insuffler en deux accords de viole la terrible noirceur de la bile mélancolique ?
La fin de l'œuvre est bouleversante et aveuglante de lumière. Reprenant le motif initial d'une simple mélodie en écho aux trois enfants solistes sur un tapis de chœur et d'orchestre, le compositeur écrit en guise de cadence conclusive un long balancement « dominante-tonique », rempli de dissonances d'une ambivalence à tirer des larmes. Éternel et en apesanteur.

Crédits photographiques : Portrait de Philippe Hersant © Talos Bucetalli

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