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Orphée et Eurydice de John Neumeier à Hambourg

Cette première européenne d'Orphée et Eurydice, créé par pour le Joffrey Ballet de Chicago en 2017, surprend : reprenant la version parisienne de l'opéra de Gluck, Neumeier crée un Opéra-ballet où la danse illustre le chant.

D'Orphée et Eurydice de Gluck, il existe plusieurs versions. La version française de 1774 est adaptée par le compositeur lors de son séjour à Paris à l'invitation de Marie-Antoinette. Remaniée pour un haute-contre et non pour un castrat et dotée d'une fin heureuse, elle s'achevait par un ballet. C'est sur cette version que travaille , sans vraiment augmenter les parties dansées, conçues pour illustrer les chœurs. Les doubles dansés des rôles d'Orphée et Eurydice, interprétés par les étoiles du Edvin Revazov et Anne Laudere, sont réduits à portion congrue car les principaux soli chantés ne sont pas doublés. Pour cette reprise, Neumeier choisit de conserver les chanteurs qui ont créé les rôles-titres à Chicago, en Orphée et Andriana Chuchman en Eurydice.

Le rideau s'ouvre sur un studio de danse. Neumeier a choisi de transposer le drame dans le monde de la danse, transformant Orphée en chorégraphe. Pour créer son ballet, Orphée s'inspire du tableau d'Arnold Böcklin, L'Ile des morts (Die Toteninsel), dont il existe cinq versions peintes entre 1880 et 1886. Ces tableaux font écho au thème central d'Orphée et Eurydice, qui narre le voyage d'un vivant dans le royaume des morts. Dès le début, Neumeier inscrit son œuvre dans un effet de mise en abyme. Eurydice, interprétée par la chanteuse Andriana Chuchman, apparaît sur scène comme la danseuse principale de la troupe de son mari. À la suite d'un désaccord, elle le gifle et quitte furieuse le studio. Le rugissement d'un moteur de voiture retenti : Eurydice meurt, renversée par la voiture.

Après cette scène d'ouverture, qui plante le décor, débute l'opéra avec la lamentation du Chœur sur la mort d'Eurydice et le désespoir d'Orphée. Là, les danseurs disparaissent. Notamment, les doubles d'Orphée et Eurydice ne viennent pas exprimer ou prolonger par la danse la douleur chantée par les protagonistes. Face au désespoir d'Orphée tenté de mettre fin à ses jours, l'Amour intervient et lui annonce la clémence des dieux qui l'autorisent à descendre chercher Eurydice aux Enfers, à condition qu'il ne se retourne pas pour la regarder.
Le premier tableau véritablement dansé correspond à la descente aux Enfers d'Orphée, où le corps de ballet interprète les Ombres menaçantes, qu'Orphée finit par attendrir par la beauté de ses chants et la sincérité de sa douleur. Vêtus d'académiques couleur chair, les danseurs ploient et ondulent, dans un tourbillon anarchique qui reflète le chaos et les tourments de l'Enfer.

Après l'entracte, la seconde partie du spectacle est marquée par le fameux air « J'ai perdu mon Eurydice », chanté de manière poignante par . La danse, jusqu'à la partie finale, reste absente du spectacle. Il faut attendre le triomphe de l'amour – Eurydice est finalement rendue à Orphée malgré la transgression de l'interdit – et la fin de l'Opéra chanté pour que réapparaisse le corps de ballet dans un mouvement d'ensemble.
La pièce se clôt là où elle a commencé : dans le studio de danse. Orphée-chorégraphe assiste à une représentation de son œuvre. Les danseurs illustrent le bonheur retrouvé des amants, avec des duos expressifs et enlevés. Dans cette œuvre, la danse occupe une place qui relève de l'art décoratif : elle reste périphérique et illustrative ; elle est même absente des parties les plus intenses de l'œuvre, dans la mesure où les doubles des rôles-titres ne font que de courtes apparitions et ne vivent pas l'histoire d'amour et la séparation déchirante.

Parler d'un nouveau ballet de pour cet Orphée et Eurydice semble exagéré. Il s'agit plutôt d'une nouvelle mise en scène de l'Opéra de Gluck avec des parties dansées, dans l'esprit de la version d'origine. Les amateurs de danse resteront donc sur leur faim, les magnifiques solistes de la compagnie étant de manière évidente sous-exploités. Une version sans comparaison possible avec celle, magistrale, de Pina Bausch.

Crédits photographiques : © Kiran West

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