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À Saint-Étienne, Dante de Benjamin Godard revient des Enfers

Onze représentations à sa création en 1890, puis l'opéra Dante de fut oublié des maisons d'opéra, et donc du public. Au-delà de cette exhumation à Saint-Étienne, c'est la qualité du travail de toute une maison qui est à souligner. 

Au cœur du conflit entre les Guelfes et les Gibelins, Dante apprend l'union prochaine entre son ami Simeone Bardi et son amour secret Béatrice. De son côté, la jeune femme confie à Gemma ses sentiments envers le héros malheureux. Lorsque le Collège du peuple nomme Dante comme chef suprême de la ville, Béatrice lui demande d'accepter la fonction pour être aimé, cet aveu suscitant l'inquiétude grandissante de Simeone qui partage par la suite ses désillusions avec Gemma, éprise également de Dante. Mais Charles de Valois investit la ville et demande l'exil de Dante. Soutenu par les Gibelins puis les Guelfes, Simeone Bardi contraint Béatrice à entrer au couvent afin de sauver la vie de son bien-aimé.

Après l'entracte, au troisième acte, Dante invoque Virgile sur son tombeau. Faisant miraculeusement son apparition, celui-ci lui fait visiter l'Enfer puis le Paradis afin de pousser le héros à achever son œuvre pour s'unir à sa belle. Simeone Bardi réapparaît repenti. Il aide son ancien ami à retrouver l'élue de son cœur, et c'est dans les bras de Dante que la jeune femme meurt de douleur.

À la lecture de l'argument, le lecteur aura probablement constaté que ce n'est pas le livret un peu rocambolesque d'Édouard Blau qui retient l'attention dans cet ouvrage. Et pourtant, la mise en scène joue judicieusement sur cette dualité constante. Par les deux parties du spectacle d'abord, la guerre civile florentine se révélant un peu statique alors que l'évolution sur scène des damnés est particulièrement aboutie. Par la confection des costumes ensuite où le travail des Ateliers de la maison stéphanoise sublime la créativité de Cédric Tirado : d'une clarté absolue par un groupe en rouge, l'autre en bleu, puis le troisième en blanc, le tout démontrant une approche théâtrale sans détour. Le Chœur lyrique Saint-Étienne Loire excelle, la puissance et l'intensité des voix s'alliant à une homogénéité collective sans faille. Par l'Enfer et le Paradis enfin, le metteur en scène choisissant un univers « retro-futuriste » qui fonctionne grâce à la cohérence de la construction des différents tableaux. Un décor sur plateau rotatif de fer et de colonnes favorise une disposition scénique équilibrée, et les effets pyrotechniques ou de lumières sont toujours de bon augure.

Quant à la théâtralité, c'est incontestablement dans la musique qu'elle flamboie. Nous l'avions découverte avec l'enregistrement du Palazzetto Bru Zane en 2017, le Centre de musique romantique française est d'ailleurs de la partie pour la prochaine production stéphanoise « événement » en mai de Cendrillon de Nicolas Isouard. Sous la baguette du chef , la partition est d'une belle inventivité qui se propage entre une texture orchestrale raffinée et une expressivité mélodique particulièrement inspirée. Avec Dante, démontre son sens du théâtre par de magiques monologues et surtout le duo entre le couple phare, véritable apothéose musicale durant ces 2h20 de spectacle. L'Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire donne un souffle dramatique exaltant que les musiciens savent maintenir de bout en bout.

Sur scène, le détenteur du rôle-titre, , détient l'essentiel des attributs héroïques. Un physique avantageux bien sûr, une ligne de chant fine et agréable ensuite. La délicatesse de son timbre et une diction parfaitement travaillée équilibrent des aigus peu conquérants et vite oubliés grâce à une plasticité vocale agréable. Son acolyte, (Bardi), révèle toutes les cartes pour défendre un personnage haut en couleurs que le talent théâtral et le chant mordant agrémenté d'admirables phrasés favorisent au mieux.

La Béatrice de déploie avec élégance toute la sincérité nécessaire, grâce à des aigus lumineux, mais une prosodie encore à parfaire. Sa confidente Gemma, incarnée par une Aurhélia Varak annoncée souffrante, affirme de subtiles nuances alors que (Virgile) allie une autorité naturelle à un timbre sombre parfaitement compatible avec son personnage, que complète au mieux la candeur de la voix de (l'écolier).

Crédits photographiques : © Cyrille Cauvet

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