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La Scala Paris invite Michaël Levinas à souffler sur ses 70 bougies

Ce concert à l'occasion de l'anniversaire de  est à la fois geste de vie (tout un symbole au moment même où Notre-Dame de Paris est la proie des flammes), réunion amicale (ce à quoi concourt la petitesse de la salle) et célébration d'un créateur apprécié et présent.

Et chacun peut se réjouir de participer à une vraie rencontre placée sous le signe de la simplicité  – les mots d'accueil de suivis de la présentation par le compositeur lui-même des pièces jouées – avec des musiciens investis.

Tout est dit dans le titre : les Études sur un piano espace ont été conçues comme un travail expérimental où le piano n'est plus l'instrument roi des romantiques et des modernes, mais le méta-instrument d'un espace acoustique. Attaque, vibration des cordes sympathiques, amplification par la caisse de résonance, dispositif électronique réfléchissant le son à l'extérieur : tout sonne ici ! Cela dit, on peut également recevoir ces Études comme une œuvre à part entière, une œuvre resserrée (6 minutes) et de caractère, où un instrument réussit à creuser un nouvel univers qui lui soit propre, et que la pianiste et compositrice Trami Nguyen sert parfaitement.

Par la spiritualité de son inspiration et surtout sa construction en deux ensembles opposés, D'eau et de pierre de rappelle The Unanswered Question de , où les cordes s'étirent en un continuum sonore apaisé que déchirent les interventions intempestives et discontinues des vents. Chez Grisey, les cordes (L'Itinéraire, sur la gauche de la scène), c'est l'eau, insaisissable, sans véritable début ni fin, et que vient troubler le jet des pierres que sont les vents (Le Balcon, tout à droite). À la fin, l'élément statique absorbe cette violence pour reprendre sa forme (musicale) cyclique.

Sursaut avec Le Poème battu, poème drolatique de Ghérasim Luca intitulé Le Triple et joué plutôt que lu. La vocalité et la théâtralité chères à Levinas croisent ici l'oralité d'une écriture reposant sur le phonème rythmé. Anaphores, allitérations, assonances et débit saccadé affolent le langage : « le viol viole violemment le on du violon… » Le poème est vraiment battu, c'est-à-dire tambouriné par deux voix en écho, celle de l'acteur-chanteur (), qui martèle le texte devant un tambour pour le faire vibrer, et une autre enregistrée, également par la percussion (Christophe Bredeloup) et un piano produisant des arpèges précipités et étouffés (David Chevalier).

Tout récemment revue, Préfixes est pour son créateur une œuvre fondatrice. Elle convoque un groupe instrumental (constitué des deux ensembles) et deux claviers MIDI (Haga Tatovo et Alain Muller, du Balcon). Son point de départ : l'hybridation de sons sur leur « transitoire d'attaque ». L'échantillonneur contrôle le temps de résonance et crée une rythmique de superposition, provoquant une suite où alternent fuites de timbres et unissons. Il en résulte une strette continue (la pièce est hantée par le final de la Sonate « Hammerklavier ») et structurée par des accélérations et des ralentissements de sons multipliés à l'infini. Maintenant, ni la pensée ni la technique ne gâchent le plaisir de l'écoute. Et ce soir, il est grand.

Joyeux anniversaire, Monsieur Levinas !

Crédit photographique : © Olivier Roller

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