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La Dame aux camélias à Stuttgart, quarante ans après

Le Ballet de Stuttgart ne cesse de revisiter ses classiques, et la troupe d'aujourd'hui s'y frotte avec bonheur.

La Dame aux camélias, vieille histoire… Le roman date de 1848, et il n'est plus assez lu ; le ballet de , lui, vient de fêter ses quarante ans, et il n'a rien perdu de son attraction magnétique auprès des interprètes et du public. C'est pour Stuttgart, pour Marcia Haydée, que Neumeier a créé sa pièce ; quatre décennies plus tard, le public de Stuttgart vient en masse admirer ses étoiles d'aujourd'hui pour une double représentation en ce dimanche pascal. Comme souvent en pareil cas, chacune des représentations a ses propres points forts, et la revue d'effectifs que permet la comparaison est particulièrement enrichissante.

L'après-midi est marqué d'abord par des prestations remarquables dans quelques rôles secondaires. Il faut d'abord citer , dans le rôle du comte N., autrement dit de l'amoureux transi de Marguerite : le portrait du clown triste toujours à côté de la situation a toute la force et le naturel d'une évidence, mais on imagine quel travail et quelle intelligence théâtrale sont à l'œuvre pour donner une telle nécessité à chacun de ses gestes. Son apparition au troisième acte, au moment où il revoit au théâtre une Marguerite à l'agonie en devient bouleversante : le ridicule passe au second plan derrière l'émotion. , lui, se contente du rôle tout aussi anecdotique de Gaston, l'ami d'Armand : il en fait un gandin à l'humour ravageur, qui mange la scène avec gourmandise sans oublier de danser avec une suprême élégance. Adhonay Soares da Silva, très prometteur talent de la troupe de Stuttgart, a bien des qualités lors de la représentation du soir, mais cette fois il doit céder la préséance.

D'autres rôles sont mieux partagés : Angelina Zuccarini fait le portrait d'une Prudence plus mûre, sûre d'elle et bien consciente de ses intérêts, Jessica Fyfe est plus insinuante. En Manon Lescaut, déploie des séductions maléfiques pour attirer Marguerite dans son sillage, quand Ami Morita est beaucoup plus proche de la beauté glacée, pur miroir où se prend Marguerite, qu'on voit le plus souvent dans ce rôle ; la force magnétique de Kang s'exerce aussi sur le spectateur, mais la vision plus distanciée de Morita culmine dans la scène avec Marguerite au deuxième acte en une puissance tragique qui a aussi sa force. La confrontation est passionnante, et c'est ce qui fait la force de l'art : contrairement au sport, il n'y a pas besoin de désigner de vainqueur.

Pour le couple central, il faut bien avouer notre préférence pour le couple du soir : en matinée, danse avec une suprême élégance, comme toujours, mais son personnage manque un peu de contour ; en soirée, et pour ses débuts dans ce rôle, émerveille au contraire par la force de son travail d'acteur. Tout juste arrivé à Stuttgart depuis six mois après un début de carrière en Amérique du Sud, il n'a pas eu à attendre pour devenir soliste et retrouver les premiers rôles. Son Armand est juvénile, naïf, ardent, et son visage est un livre ouvert sur un trésor d'émotions nouvelles ; les scènes où il est sur scène sans danser en prennent un relief extraordinaire, mais sa danse bénéficie aussi de ce travail en profondeur sur le personnage. Son partenariat avec une Marguerite qui en devient par moments presque maternelle est d'une fluidité d'autant plus remarquable qu', elle non plus, n'avait jamais eu l'occasion de danser ce rôle. , l'après-midi, propose une interprétation plus directement tragique, au risque d'être parfois anguleuse : l'émotion n'est pas absente, loin de là, mais on peut préférer la vision à la fois plus sensuelle et plus élégiaque de Badenes, étoile discrète mais pilier indispensable de la troupe actuelle. Il était vraiment temps que le Ballet de Stuttgart remette ce classique de son répertoire à l'affiche.

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