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Saisissant Street Scene à l’Opéra de Cologne

, c'est L'Opéra de quat'sous. C'est Mahagonny aussi. Mais le « Weill américain », le compositeur exilé en 1933 (puis aux États-Unis en 1935), qui s'illustra à Broadway, reste encore souvent à découvrir de ce côté de l'Atlantique. La reprise de la production de  à l'Opéra de Cologne le prouve.

Qui aurait dit que le Gürzenich-Orchester de Cologne pourrait sonner comme un big band ? Et pourtant, c'est bien le cas en cette pluvieuse soirée de mai à l'Opéra de Cologne. Sous la baguette à la fois précise et enflammée de , on donne Screet Scene, « opéra américain » que écrivit à New York à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. En mariant le jazz et le blues à la tradition européenne, Weill avait créé un chef d'œuvre à mi-chemin entre opéra et comédie musicale. Plus de 60 ans après sa création à Broadway, le public de Cologne a enfin la chance de le découvrir.

Coproduite avec les Opéras de Madrid et de Monte-Carlo, cette production signée n'est plus que le lointain écho d'une première mouture de 2008, décevante semble-t-il, qui avait été montrée à Paris en 2013. Cette fois, la mise en scène fait mouche. Les déplacements sont bien réglés, les personnages (nombreux !) superbement caractérisés, et les scènes de danse suscitent l'enthousiasme du public. Dès les premières mesures, on est comme immergé dans le microcosme du Lower East Side new-yorkais des années 1930 que Weill a peint avec maestria en ce « Broadway opera ». Et, bien que longue de trois heures, la représentation est captivante d'un bout à l'autre.


Musicalement aussi, la réussite est complète. La distribution – mêlant artistes invités et membres de la troupe – a été choisie avec soin. Ainsi, , et forment un superbe trio de pipelettes. se fait plaisir en entonnant les chansons pseudo-italiennes du gelatiere Lippo. Très en voix malgré sa longue carrière, Alexander Fedin est parfait dans le rôle du vieux juif socialiste Abraham Kaplan tout comme dans celui du bienveillant concierge Henry Davis. Un peu coincé dans les passages aigus, Allison Oaks ne campe pas moins une touchante Anna Maurant. – voix impressionnante, physique du rôle –  incarne à merveille son mari à la fois colérique et vulnérable.

En Sam Kaplan et Rose Maurrant enfin, on découvre deux chanteurs américains des plus prometteurs. Timbre suave, aigu facile, piani enchanteurs, sans parler d'un physique de jeune premier, est rien moins que parfait dans le rôle du jeune amoureux. Rayonnante physiquement et vocalement, très émouvante aussi lors de la scène des adieux, Katherine Henly, n'est pas en reste dans celui de sa bien-aimée – une performance d'autant plus impressionnante vu les circonstances. La toute jeune soprano américaine, de passage à Cologne, avait en effet remplacé in extremis une collègue souffrante lors de plusieurs répétitions – sans pourtant avoir chanté le rôle sur scène auparavant. L'Opéra de Cologne la remercia en lui offrant une représentation marquant à la fois ses débuts européens et ses débuts dans le rôle. Une carrière définitivement à suivre.

Saluons pour finir la superbe prestation des enfants, membres de différents chœurs et maîtrises de la région, ainsi que du chœur de l'Opéra de Cologne. A la fin, ils sont tous fêtés par un public venu peu nombreux. Le « Weill américain » reste définitivement à découvrir.

Crédits photographiques : (Anna Maurrant), (Emma Jones), (Greta Fiorentino), Young Woo Kim (Daniel Buchanan) ; scène d'ensemble © Paul Leclaire

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