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Eugen Indjic dans de doctorales sonates n° 2 et 3 de Chopin

Eugen Indjic revient à son cher Chopin, par cet habituel couplage des deuxième et troisième sonates, juste complété par le célèbre Nocturne en ut mineur opus 48 n° 1

Frédéric Chopin est l'un des compositeurs qu'Eugen Indjic a le plus fidèlement illustré au disque : on lui devait déjà, entre autres, voici près d'un demi-siècle, une version des mêmes deuxième et troisième sonates chez Polskie Nagrania « Muza », un court moment réédité sous licence Vivace en Allemagne à la fin des années 80.

Indjic nous livre un remake de ces œuvres, mature mais direct, sans afféteries déplacées ni, il est vrai, grands arrière-fonds psychologiques. Ni la lettre ni l'esprit ne sont trahis dans cette approche très classique d'un (bon) goût presque protocolaire. Sur le plan de l'enregistrement, on peut regretter cette prise de son très proche de l'instrument, certes chirurgicale quant à la restitution microscopique des intentions musicales, mais tassant quelque peu les plans sonores par un relatif manque d'aération.

Dans ce contexte, l'approche de la Sonate funèbre se veut austère et urgente, sans laisser à l'auditeur le moindre répit. Là où récemment, un , capté live lors du concours de Leeds (Warner), laissait poindre de saisissants clairs-obscurs (deuxième thème du mouvement initial, piu lento du scherzo, éventail dynamique de la marche funèbre), Eugen indjic donne une dimension péremptoire, épique et tragique à un discours musical plus haletant. Les premiers accords glaçants augurent un premier mouvement buriné et cinglant, le scherzo par ses rafales impitoyables renforce ce sentiment d'urgence dramatique, la marche funèbre se veut irréfragable, même en sa section centrale, sous d'autres doigts plus impalpable, et le presto final s'étiole sous un vent frigide. Une version univoque, loin du climat fantas(ti)que et plus ambigu que pouvaient y distiller le tout jeune ou une Martha Argerich des grands jours (tous deux chez DG).

Le Nocturne opus 48 n° 1 sous des dehors agogiques très calculés nous a semblé prévisible voire académique, loin de la totale recréation d'un Arrau (Philips-Decca), ou plus récemment de l'imagination d'un Fazil Say (Warner) ou de la synthèse moderne d'un Nelson Goerner (Alpha). Sous des dehors agogiques très mesurés et classiques, la troisième sonate est à la fois plus nuancée dans ses sonorités, mais plus littérale dans la tenue du discours. La progression de l'Allegro maestoso initial (donné sans la reprise) semble presque trop directe et limpide, loin du kaléidoscopique jeu de miroirs que déployait un Dinu Lipatti (Warner) ou de la fantaisie narrative qui nous rend si chère les versions d'Emil Gilels (DG) ou de (Decca). Le scherzo digitalement assumé mais peu aérien, ou surtout un largo quelque peu plombé par un ton notarial et une motorique trop régulièrement implacable n'atteignent pas l'inquiétante étrangeté qu'y glissait Evgeni Bozhanov (Cypres) ou l'incandescente et splendide éloquence du récent remake de , sans doute sommet de son tout récent récital chez DG. Le final est à l'avenant, nimbé d'une certaine austérité face au texte, et un peu plombé par une certaine neutralité expressive.

En quelques mots, sans nullement trahir la lettre de ces œuvres célébrissimes, Eugen Indjic nous donne parfois l'impression, avec ces interprétations très « honnêtes » mais assez monocordes de ton et de sonorités, de rester en surface des partitions, par une objectivation du discours plus pesante que vraiment distanciée.

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