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Une Clemenza di Tito, entre mythologie et écologie à l’Opéra Royal de Wallonie

La Clemenza di Tito de Mozart n'avait jamais été représentée à l'Opéra Royal de Wallonie. Cette nouvelle production, ce soir au palais des Beaux-Arts de Charleroi, comble cette lacune et recèle plus d'un moment enchanteur.

Pour certains mozartiens, la Clemenza di Tito constitue une œuvre un peu bâclée, de pure commande pour le couronnement de Joseph II à Prague comme roi de Bohême, régie par les règles strictes de l'opera seria, sans la moindre place pour l'humour ou le second degré, et constitue après la trilogie da Ponte une régression dans la matrice, dans la mouvance d'un Idomeneo de dix ans antérieur. Outre une action dramatique aux ressorts habituels et aux conclusions moralisatrices, il faut faire l'impasse sur de très longs récitatifs (d'ailleurs dus à Franz Xaver Süßmayr, vu la vitesse de réalisation demandée !), sacrifice au genre, avec la gageure pour les metteurs en scène d'animer ces longs moments d'intérêt musical moindre. Mais faire l'impasse sur cette œuvre, ce serait vite vouer aux oubliettes quelques-uns parmi les plus parfaits airs opératiques de Mozart, tels à l'acte II le Deh per questo istante confié à Sesto, ou le Non più di fiori chanté par Vitellia.

Pour leur proliférante mise en scène, aussi inventive que poétique, et Julien Lebeck, formés à l'école du mime Marceau, au Cours Florent et au Centre national des arts du Cirque, déjà remarqués pour une audacieuse Flûte enchantée en cette même maison voici quelques années, oublient toute référence à l'Antiquité romaine comme à la tragédie classique. Le décor est celui d'une forêt enchantée, peuplée d'insolites animaux fantastiques et d'un microcosme de bateleurs, jongleurs funambules et danseurs, figurant les acteurs d'un théâtre d'art forain aux multiples facettes comme miroir hautement symbolique de la tragédie. Chacun des six personnages principaux devient animal fantastique : Vitellia est un faune écarlate de colère avançant masquée, Sesto un mouflon égaré et hagard, Annio un demi-oiseau éploré, Publio un hiératique homme-arbre sentencieux. L'empereur lui-même y apparaît en centaure, dépossédé de ses attributs fabuleux au moment de son jugement en âme et conscience et de sa décision « humaine » de clémence à l'égard de son ami Sesto. Ce petit jeu mythologique imaginaire forcément empirique se révèle dramaturgiquement aussi adroit qu'efficace par sa typologie.

Le rideau floral et subtilement éclairé par d'habiles jeux de lumières, juste un peu tassés dans la perspective du palais des Beaux-Arts de Charleroi, se lève au premier acte sur une forêt enchantée et mystérieuse. Elle est ensuite réduite à sa seule minérale expression après l'entracte, suite à la (dé)figuration de l'incendie du Capitole, métaphore d'une présente et probable catastrophe écologique par la faute de la curée humaine. Si l'action théâtrale demeure donc limpide dans sa trame, peut-être est-elle un peu inutilement encombrée d'une foule d'actions secondaires liées à l'agitation des figurants. De même, la symbolique des accessoires et des décors aux accents multiples, parfois shakespeariens, souvent universels, ou à l'occasion subtilement ésotériques voire maçonniques, est quelque peu appuyée et envahissante. On trouve toutefois de géniales trouvailles comme cette clémence incarnée par l'incarnation virginale d'une jeune enfant prenant place sur le trône impérial. Mais ailleurs, le regard du spectateur peut – hélas ! – parfois, s'égarer sous la superbe débauche – très réussie visuellement -, la multiplicité concomitante des effets et la luxuriance des détails.


La distribution se révèle quelque peu inégale. Le Tito, certes impeccable scéniquement, de manque de raffinement et d'élégance, tant dans la projection vocale que dans la conduite de la ligne de chant au fil de périlleuses vocalises parfois savonnées. Son Se all'impero s'avère bien délicat. est à n'en pas douter ce soir dans une relative méforme vocale. L'artiste semble jouer la carte de la prudence : le volume sonore est comme raboté, l'aigu est précautionneux et le grave parfois trop poitriné et timoré. La Sevilia de et l'Annio de nous semblent bien plus idéales, tant par la fraîcheur de leur timbre, que par l'exactitude musicale de leur incarnation scénique. Mais c'est incontestablement , basse finlandaise au timbre chaud et somptueux, imposant en monumental et arborescent Publio, et surtout le Sesto d', habituée des rôles travesti, notamment mozartiens, splendide tant par le timbre que par l'agilité vocale, tant par l'implication dramatique que par le large éventail de nuances, qui emportent tous les suffrages à l'applaudimètre.

La direction tour à tour musclée et enjôleuse de , d'une vivifiante théâtralité, redonne ses lettres de noblesse à une partition souvent mal aimée, tout en laissant s'épanouir la suavité du lyrisme mozartien dans les grands airs du second acte. Le chef est idéalement secondé dans les récitatifs par l'excellent Sylvain Bousquet au pianoforte et la jeune Johanna Ollé au violoncelle. L' semble particulièrement impliqué. Et si l'on peut regretter quelques approximations, ici et là (un pupitre de cors quelque peu enrhumé ), certains solistes (en particulier le pupitre de clarinettes et cor de basset, particulièrement sollicité dans l'accompagnement de certain airs) auraient mérité de voir leur nom cité dans le programme, vu l'excellence et la musicalité dont ils font preuve dans ces accompagnements obligés quasi concertants. Les chœurs, un peu encombrants, et relégués en coulisse, ne nous emmènent hélas pas vers les mêmes sommets et ne sauvent pas l'intérêt plus limité des pages parmi les plus académiques et prévisibles de l'ouvrage.

Crédits photographiques : © V. Cangerni/Opéra Royal de Wallonie-Liège

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