- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Tarare : interprétation superlative d’une oeuvre bien naïve

Grandes satisfactions interprétatives et éditoriales avec cette version de Tarare d' par , on ne voit pas comment on pourrait faire mieux. Mais l'oeuvre elle-même a tout de la grenouille de la fable.


Malgré à l'œuvre, on ressort de la gravure de Tarare, composé par Salieri pour la France pré-révolutionnaire de 1787, plus dubitatif que jamais face au talent d'un compositeur qui, nous dit-on, « conquit la faveur du public » parisien en 1784.

Au-delà de l'accroche intrigante d'un Prologue allégorique qui voit les forces cosmiques tirer du néant les ombres désireuses d'incarner les héros qui vont en découdre pendant quatre actes, on rend in fine les armes devant une musique convenue, qui n'aura cessé de tirer à la ligne, qui jamais n'aura décollé : un interminable recitativo accompagnato de 2H45, de la surface duquel tentent d'émerger des airs systématiquement avortés une poignée de mesures plus loin, à l'exception, peut-être du Fantôme vain d'Atar (2'22 tout de même !) à l'Acte V, le plus réussi. Le ton général est celui d'un dramatisme exacerbé surligné à gros traits par un orchestre tempétueux qui voudrait nous faire prendre au sérieux une intrigue souvent ridicule, à l'image de son héroïne, Astasie qui, à peine entrée en scène, s'évanouit deux fois en l'espace d'une minute ! Une mélodie continue, scotchée à l'action, bien en-deçà de ce que Rameau avait su faire dans le genre. Même le moindre Mozart de jeunesse prend rétrospectivement du galon.

Salieri se voit en outre vampirisé par la suffisance de son librettiste. Beaumarchais versifie un des Contes des Génies (de l'Anglais James Ridley) Sadak et Kalasrade, aux antipodes de l'intérêt de son célèbre Mariage de Figaro. Salieri aurait dû se méfier des rodomontades du dramaturge français, ivre de sa propre plume jusqu'à pontifier: « Il y a trop de musique dans la musique du théâtre…. notre opéra pue de musique ». Rappelons la réussite de la Trilogie Mozart/Da Ponte, des coudées au-dessus de la stérilité d'un débat qui tue dans l'œuf l'envol de Tarare. Beaumarchais, inexplicablement, abandonnera Salieri au moment des saluts.

Le patronyme Tarare signifie : « N'importe quoi ! » « Tu parles ! ». On ne pouvait mieux dire. Prima le parole donc pour ce bavard Tarare, qui raconte les affres d'un tyran, jaloux de son chef de milice, qui se suicide face à la popularité de ce dernier, tout d'optimisme et de bonté. Le dialogue fructueux de la lumière contre l'ombre, sera de fait écrit quatre ans plus tard sur les mots autrement humbles de Schikaneder. Il s'appellera La Flûte enchantée.

Composé en français, ce Tarare enregistré avant un concert à la Philharmonie de Paris en novembre 2018 se distingue par quelques pointures stylistiques irréprochables. La soprano néerlandaise Judith va Wanroij, se glisse avec mutinerie dans un sérail finement distribué, aux timbres aisément identifiables : côté ténors, la distinction claire de , l'aigu atypique du délicat ; côté voix graves, les impeccables et s'entourent de nouveaux venus attachants : , . Dans le rôle bien bref d'Astasie, on est heureux de retrouver, toujours vibrante, l'art de , même si la prononciation manque une fois encore d'arêtes. Les Chantres du s'emparent avec conviction des meilleurs passages de la partition. offrent une de leurs plus belles prestations : un très beau son d'ensemble, transparent, très bien capté par la prise de son.

Après Les Danaïdes (Clef d'Or ResMusica) et Les Horaces, aura donc enregistré avec beaucoup de soin la trilogie française d'. Mais un opéra c'est aussi la scène. Le temps de Salieri viendra-t-il ? Pour l'heure, on ne voit pas bien se lever l'homme providentiel d'une œuvre qu'on imagine pour l'heure condamnée au second degré.

(Visited 1 449 times, 1 visits today)