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Agrippina à Munich : Barrie Kosky éteint le feu

Une distribution inégale et une mise en scène sans inspiration pour un chef-d'œuvre qui mérite bien mieux.

Haendel, enfin ! Sir Peter Jonas, intendant de l'Opéra de Bavière de 1993 à 2006, avait offert à un public d'abord réticent, puis conquis, une longue série de grands spectacles haendeliens. À son départ, tant pis pour le public : la place modeste conquise par le répertoire baroque devait être rendue de toute urgence au grand répertoire, celui qu'on entend partout à longueur d'année. Deux ans avant la fin de son mandat, Nikolaus Bachler laisse Haendel revenir par la petite porte, pour quatre représentations d'une Agrippina qui partira ensuite à Londres et Hambourg.

Les spectateurs qui ne connaissaient pas cette étincelante comédie sensuelle et politique en sortiront sans doute ravis ; ceux qui connaissaient et aimaient déjà l'œuvre sentiront, eux, à quel point on est loin du compte. La faute en incombe d'abord à , qui en plus de diriger la Komische Oper de Berlin multiplie les spectacles de façon déraisonnable : la première précédente était à Berlin il y a deux mois et demi, la prochaine sera à Salzbourg dès le 14 août. Où est le temps pour la réflexion sur les œuvres, pour la conception de la mise en scène ? La décoratrice Rebecca Ringst, qu'on connaît surtout pour son travail fantastique avec Calixto Bieito, n'a sans doute pas eu de quoi stimuler son imagination : elle construit donc une structure métallique à deux niveaux, qui passe son temps à tourner pendant la première partie avant de se fragmenter ; ça ne veut rien dire, et ça n'offre pas de possibilités de jeu très intéressantes en dehors de quelques portes qui claquent. Kosky réduit la comédie à une simple direction d'acteurs, sans que la finesse et la précision de la mise en scène suffisent à combler l'absence de travail de fond sur l'œuvre. Certains moments témoignent même d'une incompréhension profonde, comme dans la scène où Othon déchu du trône reçoit successivement les railleries de tous les personnages : y rajouter la violence physique, c'est faire passer l'ironie mordante du texte et de la musique en arrière-plan. À force de traiter chaque scène pour elle-même, sans souci de continuité et de structure, Kosky parvient à susciter de l'ennui dans une œuvre aussi enthousiasmante. Ceux qui la découvrent s'en satisferont sans doute, mais ceux qui l'aimaient déjà verront vite l'ampleur du décalage.


Les chanteurs doivent donc composer avec cette trame minimale, et tous ne s'en sortent pas bien. donne le ton dès le premier récitatif : sous prétexte d'expressivité, le rythme est bousculé et on ne comprend rien. Les récitatifs d'Agrippina sont composés avec grand soin, ils n'ont nul besoin qu'on les « améliore » à coups de boutoir ; le traitement des airs n'est pas très différent, à force d'éclats de voix et d'effets expressionnistes qui hachent la ligne et cassent l'émotion. joue Néron en skinhead moitié apathique, moitié manipulateur : pourquoi pas, mais le personnage n'est guère développé à partir de ces prémisses. C'est certainement sa présence qui explique pour beaucoup la véritable ruée sur les places qui a précédé ce spectacle, et ses fans nous donneront certainement tort, mais voilà : Fagioli est un virtuose, et plus précisément un virtuose qui veut que ses prouesses se voient. Dans les vocalises, la voix ne prend jamais le temps de tenir les notes, serpentant autour d'elles pour montrer sa souplesse. Impressionnant mais vain. Surtout, puissance et virtuosité sont bien mieux employés dans d'autres rôles que celui-là, qui aurait mérité beaucoup plus de travail émotionnel et dramatique.

Le reste de la distribution a heureusement beaucoup plus de tenue. Une mise en scène plus ambitieuse aurait sans doute davantage stimulé , mais le travail sur ce rôle entre poésie et action est aussi approfondi que le contexte le permet. Les rôles secondaires, à commencer par le Claude efficace de Giancarlo Buratto, font eux aussi honneur à l'Opéra de Bavière, mais le meilleur élément de la distribution est sans nul doute , timbre lumineux et limpide, diction claire et expressive : le duo de la réconciliation avec Poppée, peut-être le plus beau de tous les duos de Haendel, est un véritable moment de grâce. Dans la fosse, comme toujours à Munich, c'est qui officie ; comme toujours, il privilégie des basses puissantes, qui scandent les rythmes avec énergie, peut-être un peu trop. Il ne fera certes pas oublier les réussites éclatantes de René Jacobs à la scène et au disque dans cette œuvre, mais ce n'est pas à lui que nous attribuerons la responsabilité de notre déception.

Crédits photographiques : © Wilfried Hösl

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