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Gstaad : Gaëlle Arquez, la plus belle des Carmen

Carmen, La Traviata, La Bohème, trio gagnant de l'art lyrique. À l'énoncé de l'un de ces trois noms, les salles se remplissent. Le tragique, le mélodrame attirent les foules. Ainsi, le Gstaad Menuhin Festival affiche complet pour cette soirée où l'opéra phare de est à l'affiche.

Disons-le d'emblée, sur cette scène, la femme a gagné. Non tant par la victoire mortelle de Carmen, privilégiant la mort au renoncement à sa liberté, mais parce que l'engagement, la classe, la beauté du chant, l'émotion, l'authenticité, la vérité artistique était du côté féminin. À commencer par la mezzo-soprano (Carmen) qui offre un personnage d'une beauté profonde, d'une grandeur habitée qui personnifie indéniablement la plus belle des Carmen de l'art lyrique actuel. Radieuse, habillée d'une robe rouge dont la simplicité est à l'image du chant, comme de l'esprit de son personnage, la mezzo française envoûte dès ses premières paroles. Rien d'artificiel, de hautement spectaculaire, de faussement théâtral dans cette Habanera initiale. Seulement une femme, la femme qui profère sa profession de foi. Et, lorsqu'avant de sortir de scène, la manière de répéter à Zuniga, l'officier, dans un mezza-voce bouleversant « Et si tu m'aimes, prends garde à toi ! » démontre combien elle possède le personnage jusqu'à la fibre de son être. La Carmen de , ne crie pas, ne provoque pas, n'aguiche pas, elle existe. Elle est. Elle est femme, elle est LA femme. Chaque mot, chaque note, chaque nuance, chaque pas, chaque geste est l'expression aboutie d'une irrésistible féminité. Fragile et forte, riante et triste, enjouée et grave, dans un chant où la voix claire le dispute à une diction irréprochable, Gaëlle Arquez est habitée par un sens artistique pénétrant. Dans son chant, elle mesure chaque intonation pour signifier avec conscience l'intention sublimée, faisant oublier un décor vidéo d'un goût douteux, un orchestre tonitruant jusqu'à des protagonistes submergés par tant d'évidente beauté.

Autre soleil de cette soirée, la soprano française (Micaëla) convainc pleinement. Dans un personnage trop souvent caricaturé, en quelques gestes, un sourire, une œillade, avec un chant d'une clarté d'émission franche, la soprano élève sa Micaëla vers l'image de la jeune femme sincèrement amoureuse. Chantant avec une simplicité extrême, profile avec intelligence sa si jolie voix. Dans le refus d'une sophistication vocale inutile, elle charme l'auditoire jusqu'aux larmes. Que c'est beau, que son « Ah, je dis que rien ne m'épouvante » est émouvant !
Le tableau serait incomplet si l'on ne citait l'excellence des deux autres artistes féminines de la distribution (Mercédès) et (Frasquita), pimpantes et parfaites, sans complexes devant leurs impressionnantes collègues.

Côté masculin, avec un (Don José) hurlant sa passion amoureuse avec une voix dont il ne maîtrise plus la ligne, un (Escamillo) vocalement terne à mourir et un (Zuniga) dont on ne comprend pas un traître mot de son français, la déception est grande. On se demande si ces messieurs n'auraient pas eu grand intérêt à relever le défi féminin en se préparant mieux à la tâche.

Peut-être n'avaient-ils pas réalisé que l'Orchestre de l'Opéra de Zurich – Philharmonia Zurich jouerait aussi bruyamment dans leur dos, et que chanter plus simplement aurait (peut-être) calmé les ardeurs d'un confus et batailleur. Ses grands gestes ne suffisent pas à combler les décalages qu'un manque évident de répétitions ne pouvait que se manifester. Pauvre Bizet ! Comme ces cuivres semblant sortis d'une fanfare villageoise ont dû te désoler.

Aux côtés du vocalement irréprochable Chœur Philharmonique de Brno ne comprenant malheureusement pas le sens des mots qu'il chante, la belle fraîcheur et préparation de la de Genève répand un baume bienfaisant. Et comme il est touchant ce petit gamin de la « garde montante » qui, gaucher impénitent, salue la main gauche à la casquette alors que tous les autres y porte la droite !

Avec la décision de présenter une version contestable (et contestée) de cet opéra basée sur les travaux du musicologue autrichien Michael Rot qui, principalement fait fi des dialogues pour réintroduire les récitatifs d'une lourdeur accablante d'Ernest Guiraud, ce « bidouillage » éloigne la partition originale de l'essence même de l'opéra comique avec ses dialogues parlés. Dès lors, l'esprit du plus hispanisant des opéras français perd de son influx. Mais, des chanteurs sud-américains ou russes auraient-ils été à même de s'exprimer clairement dans la langue de… Henri Meilhac et Ludovic Halévy, les librettistes de ?

Crédit photographique : © Raphael Faux

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