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La Flûte enchantée à Salzbourg :  la guerre racontée aux enfants

La mise en scène de présentée à Salzbourg au cours de l'été 2018 n'était pas que spectaculaire. Le DVD permet de scruter tout à loisir les zones d'ombre d'une production divertissante et militante.

Après son éblouissant Rake's Progress pour Bâle, signe pour Salzbourg une Flûte d'une grande intelligence. Le conte qu'elle fait raconter par un grand-père à ses trois petits-fils est le vernis d'une vision désabusée du monde des adultes. L'Ouverture brosse le portrait d'une société corsetée par le biais d'un repas pris en famille dans une austère demeure bourgeoise où non-dits et silences sont imposés à tous par un père taiseux. Tout est près d'imploser, au dedans comme au dehors : on est à la veille de la Première Guerre mondiale.

Le décor montre en coupe la salle à manger, la cuisine, et enfin la chambre des enfants où tout va se jouer. Le grand-père raconte. Les enfants imaginent : leur mère en Reine de la nuit, leur père en Sprecher, un des soldats de bois posé sur l'étagère en Tamino, l'aïeule disparue portraitisée en Pamina, le fils du boucher en Papageno… le tout dans le monde du cirque (dont les affiches tapissent les murs), échappatoire enfantin providentiel d'un quotidien étouffant.

Originalité des costumes, décor ne tenant pas en place… On se divertit beaucoup sans bien se rendre compte que nous achemine progressivement vers le coup de massue d'une vision d'un rare pessimisme : les épreuves du feu et de l'eau plongent dans la boucherie des tranchées de 14-18, Monostatos et la Reine sont froidement abattus par Sarastro, peu rassurant démiurge révolutionnaire du cirque d'un monde qui court à sa perte. Tandis que Papageno et Papagena ne songent qu'à inverser la courbe d'une natalité forcément en berne dans un tel contexte, on ne donne pas cher du nouveau couple Tamino/Pamina.

La relecture est aussi dans la fosse, les contours de la partition se voyant ourlés d'un clavecin et d'un piano forte. et les Wiener Philharmoniker collent à l'ombre et la lumière de la conception scénique, pas toujours bien captée par une caméra dépassée (le premier départ de la Reine de la Nuit, la première apparition du cirque de Sarastro en couleuvres filmiques difficilement avalables). Si le chœur n'appelle pas de réserves, le touchant Tamino de bois de , l'impressionnante Pamina égarée, prête à toutes les audaces costumières, de , la Reine idéale d', le Papageno inhabituel d', l'inquiétant Monostatos de , les trois Dames savoureuses de , et , les trois merveilleux et omniprésents Wiener Knaben doivent s'accommoder du Sarastro quelque peu charbonneux de .

Enfin le jeu et le ton de Klaus-Maria Brandauer touchent si juste qu'ils réussissent à faire passer la pilule de la quasi-suppression des dialogues parlés au profit d'une narration de conte en chapitres. Le spectateur boit les paroles du grand comédien, en quatrième enfant d'un spectacle passionnant, qui incite à la vigilance, et qui renouvelle dans ses moindres détails (la vieille Papagena la plus originale jamais vue) l'approche d'une œuvre rabâchée, que l'on serait bien sûr tenté ici de rebaptiser : La Flûte désenchantée.

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