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À Lucerne, le rendez-vous manqué de Cecilia Bartoli et Teodor Currentzis

Les promesses d'une rencontre au sommet entre l'incandescente et le fantasque chef d'orchestre n'a malheureusement pas rempli les espoirs malgré la désormais traditionnelle « standing ovation ».


Dans la lumière tamisée de la salle, l'appel du Kyrie en ré mineur KV 341 et son chœur magnifiquement marié à l'orchestre, résonne soudain comme un baume universel. À la fois feutrée et solennelle, l'ambiance qui se dégage est prometteuse révélant un calme et serein. On retrouvera plus tard l'engagement total du chef dans une ouverture de Don Giovanni, empoignée avec vigueur et autorité préfaçant le drame sombre et agité du séducteur voué à l'enfer.

Quand l'ensemble entonne Alzai le flessibile voci al signor, sur le côté de la scène, dans un rayon de lumière, apparait , magnifique, bottée de cuir, dans sa redingote bleu-nuit, sur un chemisier à longues manches d'un blanc éclatant. Une présence attendue, irradiante et bienfaisante. Avançant lentement, elle chante les premiers accents de cet air qu'elle a déjà rendu célèbre au disque. Étrangement, la voix semble plus ténue qu'à l'accoutumée. Oubliée l'autorité qu'on lui sait. Elle minaude, abusant de pianissimos qui peu à peu dépersonnalisent le feu qui l'habite si naturellement. On pense à une méforme, à un léger passage à vide, à un échauffement de voix encore imparfait. Si son deuxième air tiré de Davide penitente ne convainc pas totalement, son irréprochable technique vocale subvient à la pâleur interprétative.

On attend alors les airs de Sesto de La Clemenza di Tito, à son répertoire depuis longtemps, pour se rasséréner. Mais las, son « Deh per questo istante solo » est sans grand intérêt. Son « Parto, ma tu ben mio » qui semble pourtant commencer avec une belle assise, secondée par un formidable accompagnement de clarinette (baroque), se perd bientôt dans d'inutiles excès expressifs. Alors on cherche une explication à cette inhabituelle tiédeur. Peut-être qu'une partie de la réponse viendra lors de son interprétation de « Fra gli implessi in poche istanti » de Cosi fan Tutte, On remarque alors que placé tout près de la mezzo-soprano, mime les mots du texte, influençant subrepticement le rythme des paroles quand ce n'est pas la ligne mélodique de l'air. Quoi de plus déstabilisant pour une soliste qui, croyant être dans une interprétation investie, en phase avec la direction d'orchestre, se retrouve en décalage avec le texte musical ? À ce même instant, le ténor chinois (Ferrando), dont le chef ne s'occupe pas le moins du monde, donne superbement la réplique à dans le plus pur esprit mozartien avec la simplicité, la ligne, l'authenticité que suggère toute la musique du maître de Salzbourg!

Enfin, quand on connait la vigueur, l'exubérance, l'immense talent de Cecilia Bartoli, on reste dans l'interrogation à propos de ce surprenant récital, jusqu'à ne pas mieux comprendre cette retenue interprétative dans son Exultante Jubilate donné en bis, dans lequel on lui a connu des agilités époustouflantes.

Crédit photographique : © Peter Fischli /Lucerne Festival

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