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Traviata à Garnier : vie et mort d’une influenceuse du net

Traviata est-il sur-représenté à l'Opéra de Paris avec pas moins de trois nouvelles productions en douze ans ? On aurait été tenté de dire oui avant d'assister au spectacle proposé par et à la révélation de l'épatante .


Que l'on ne s'y trompe pas, malgré ses défauts, la proposition du metteur en scène est d'une grande loyauté vis-à-vis de La Traviata qu'il réinscrit dans notre quotidien comme Verdi l'avait fait lors de la création de l'œuvre en 1853. Le compositeur s'était alors heurté à l'incompréhension du public par son approche réaliste et contemporaine, dénonçant une société patriarcale étouffant le féminin. Aujourd'hui, nous tend le miroir d'une société qui n'offre comme seule perspective que la domination des réseaux sociaux conduisant à la notoriété, unique vecteur de reconnaissance. Il nous offre le portrait d'une femme dévoyée que l'on pourrait croiser tous les jours dans la rue ou à la télévision, sorte de publicité ambulante, régnant un jour sur Twitter et Instagram et disparaissant aussi vite dans l'indifférence générale pour avoir oublié la vacuité de sa démarche.

Baignant dans un univers de trivialité, de vulgarité et de non-sens qui n'est pas sans rappeler celui de La grande Bellezza de Paolo Sorrentino, la mise en scène nous propose une déambulation dans un Paris non idéalisé, avec ses night-clubs, ses bancs publics, ses chauffeurs VTC et ses kebabs. Le dispositif scénique évolue avec fluidité mais l'on frise parfois l'indigestion de vidéos et d'images et la respiration musicale s'en trouve parfois asphyxiée. Par ailleurs, l'avalanche de diffusions de SMS et de courriers témoignant des menaces financières pesant sur l'héroïne détourne souvent le spectateur de l'action scénique et des dialogues. Spectateur amusé de ses propres turpitudes, l'auditeur passe au second plan et une distance peut parfois se créer avec le drame, d'autant que tous les actes ne sont pas traités avec la même acuité (plate scène 2 de l'acte II). Malgré ces défauts le dispositif reste efficace et par ailleurs l'œuvre est plutôt bien servie par la distribution dite « B ».

Soulignons en premier lieu la qualité de tous les comprimari avec notamment l'Annina jeune et en quelque sorte réinventée de , le Gastone toujours aussi charismatique de et le Douphol de très grand luxe de . Ils sont un bel écrin solide et rassurant pour le jeune couple Violetta/Alfredo défendus ce soir par deux jeunes chanteurs à suivre.


prête sa voix de ténor légèrement ombrée à un Alfredo aussi fougueux et viril que fragile et dépassé. Une projection facile, un timbre solaire, des nuances et une belle présence constituent les atouts indéniables de ce jeune ténor au style irréprochable et en parfaite symbiose avec sa partenaire. Pour ses débuts à l'Opéra de Paris, est une révélation. Si le timbre peut apparaître assez neutre, la technique est superlative. Ses aigus et suraigus assurés, son medium et ses graves consistants lui permettent d'affronter le belcantisme du I, le lyrisme du II et le dramatisme du III. Surtout, le jeu subtil de la soprano dessine un personnage complexe dont on commence à deviner l'authenticité et le naturel à l'acte II, après un acte I subtilement distancié et avant un acte III proprement bouleversant et pathétique. Tout au long de la soirée, on mesure l'impact de cette interprétation au silence que l'artiste impose progressivement dans la salle, témoignage d'une qualité d'écoute qui ne trompe pas, et si le « Follie ! Follie, delirio vano è questo ! » impressionne, c'est surtout le « Dite alla giovine » sussuré et son « Addio, del passato » magnifiquement phrasé qui chavirent et font de cette soirée un grand moment d'émotion simple et brute.

Face à eux, offre une prestation étonnante et un peu décevante en Germont père dont on peine à trouver l'autorité morale et la noblesse. Si le timbre est beau et la voix bien conduite jusque dans des forte impressionnants, le baryton abuse d'une forme d'expressionnisme assez malvenue et parfois hors style. Est-ce une faiblesse passagère de ce chanteur par ailleurs souvent admirable ?

Pour finir d'emporter le public dans ce tourbillon de vie et de mort, le chœur dirigé par José Luis Basso est toujours aussi précis et la direction musicale de utilise le rubato à bon escient tout en restant attentif aux chanteurs et à la variété des atmosphères qu'implique la partition, ici parfaitement servie.

Crédits photographiques : © Charles Duprat

 

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