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Exceptionnelle Kundry de Yulia Matochkina avec Gergiev à Paris

Pour ce deuxième concert à la Philharmonie, livre au public parisien un Parsifal d'une lenteur extatique jusqu'à l'excès, porté par une distribution vocale de haute volée.


Gergiev et Parsifal, voilà une association qui pourrait paraître surprenante, voire iconoclaste, et pourtant… ce serait rapidement oublier que le célèbre chef ossète a déjà, depuis 1999, promené sa vision de Parsifal sur de nombreuses scènes lyriques de par le monde (Metropolitan de New-York en 2003, Staatsoper de Vienne et Birmingham en 2012) scellant une affinité évidente par un enregistrement discographique avec la troupe du Mariinsky en 2009.

Créé en 1882 au Festspielhaus de Bayreuth, Parsifal est le dernier opéra de . Œuvre grandiose et monumentale, à la richesse thématique inouïe qui ne cesse depuis sa création d'interroger musicologues, philosophes et psychanalystes… François Nicolas et Alain Badiou, dans un cycle de conférences consacrées à cet opéra se sont interrogés pour savoir ce que cet opéra n'était pas (ni pronazi, ni néo-chrétien, ni bouddhiste, ni obscurantiste, ni maçonnique…) ou plutôt ce qu'il était, à savoir un opéra de la régénération et/ou de la cérémonie, centré sur le thème de la rédemption. Si ce thème récurrent apparaît comme un leitmotiv dans tous les opéras de Wagner, c'est bien dans Parsifal qu'il s'affiche avec le plus d'acuité. « Wagner n'a jamais réfléchi aussi profondément qu'à la rédemption : son opéra est l'opéra de la rédemption » affirme Nietzsche dans le Cas Wagner. A l'origine, la notion de rédemption chez Wagner doit être prise dans le sens moral, c'est-à-dire qu'elle présuppose une faute originelle, la question de son ascendance paternelle pourrait constituer cette potentielle faute et impliquer la nécessité d'un rachat toujours présent sous différentes formes dans ses opéras. Prenant ses sources chez Parsifal est un opéra initiatique, la quête rédemptrice se confond, ici, avec la quête initiatique. Le jeune héros sans mémoire ni conscience, qui ignore son identité, y acquiert la connaissance au terme d'un voyage qui lui permettra, dès lors, d'être capable de compassion, réalisant l'Agape, stade ultime de l'Amour, pour accéder au statut de rédempteur et régénérer le Graal.

Face à un tel livret, aussi fortement spiritualisé, et ses troupes ne déméritent pas, malgré un tempo discutable qui reste cependant totalement adapté à la dramaturgie.


Dès le Prélude, on est surpris par la lenteur du tempo, à la limite de la rupture. évite l'écueil de la juxtaposition par une maîtrise magistrale de la respiration orchestrale, usant d'un phrasé clair, solennel, ample, sans pathos excessif. L'Acte I s'ouvre sur une ambiance recueillie entretenue par les superbes cordes du quatuor tandis que Gurnemanz fait œuvre de mémoire en rappelant l'agonie d'Amfortas et l'attente du « chaste fol » seul capable de refermer la symbolique blessure au flanc que lui a portée le diabolique Klingsor. Gergiev, attentif à tous les détails de la partition et recrutant toutes les forces solistiques de son superbe orchestre, y développe une lecture fluide d'une lenteur majestueuse, envoûtante, équilibrée et très narrative, variant sans cesse, couleurs, nuances et contrastes. Changement total de climat dans l'Acte II qui impressionne par son intensité dramatique dont la joute vocale entre Kundry et Parsifal constitue le climax, rehaussé par des cordes virevoltantes et des cuivres à la sonorité ronde et contenue. La lecture s'avère, ici, très théâtralisée, tendue, s'appuyant sur un phrasé acéré, alternant tendresse, séduction et fureur. En revanche, l'Acte III déçoit quelque peu, la lenteur du tempo (4 heures et 20 minutes !!!) trouve, ici, rapidement ses limites dans la langueur un peu déliquescente de l'Enchantement du Vendredi Saint, qui confine rapidement à l'ennui, avant un final qui retrouve, enfin, tout son allant dans un grand crescendo, signant l'achèvement de la prophétie, la résurrection du Graal et le couronnement de Parsifal, tandis que le chœur entonne le célèbre et mystérieux Rédemption au rédempteur.

Si l'interprétation de Valery Gergiev peut prêter le flanc (!) à certaines critiques, concernant notamment le choix du tempo, la distribution vocale est, en revanche ce soir, irréprochable, dominée par l'exceptionnelle prestation de dans le rôle de Kundry. Tantôt guerrière, séductrice ou mystique, le timbre est rond, l'émission puissante sans vibrato, les aigus dardés, les graves abyssaux. Face à elle, Mikhaïl Vekua, Heldentenor attitré de la troupe, fait valoir sa vocalité immédiatement convaincante, facile et lumineuse. Gurnemanz (Yuri Volobiev), au baryton profond et au legato subtil assume avec humanité sa lourde tâche, tandis qu' (Amfortas) séduit par la noblesse de son chant. livre un Klingsor saisissant de noirceur et de machiavélisme. Les Filles-fleur, vénéneuses séductrices, complètent cette distribution superlative, sans oublier le formidable chœur du Mariinsky aux interventions, hélas, trop rares limitées à l'accompagnement du rituel.

Avec ce Parsifal qui ne manquera pas d'alimenter les critiques, Gergiev s'affirme, encore une fois, comme un chef wagnérien, discutable certes, mais incontournable.

Crédit photographique : Valery Gergiev © I. Zaldúa ;  (Kundry) © DR

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