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Karine Deshayes sublime La Reine de Saba à Marseille

En version de concert pour quatre représentations, l'Opéra de Marseille remet à l'affiche La Reine de Saba de Gounod, avec dans le rôle-titre la splendide .


L'Opéra de Marseille n'a pas trouvé de coproducteur pour se permettre une version scénique d'une rareté de Gounod, pas même l'Opéra Comique, dans lequel est réapparu l'an passé La Nonne Sanglante, ni le Palazzetto Bru Zane, dont l'enregistrement de ces représentations afin de l'intégrer à leur collection aurait pourtant semblé évident. C'est donc seul et en version concertante que pour quatre dates, le directeur Maurice Xiberras offre le rôle-titre de La Reine de Saba à .

À peine sortie de ses superbes Adalgisa toulousaines, la mezzo-soprano française entre à Marseille dans la peau de Balkis, personnage cité dans la Bible et le Coran, avant de revenir à Gounod – puis à Korngold moins de quinze plus tard – par l'intermédiaire du Voyage en Orient de Gérard de Nerval. Le sujet, repris sous la plume des librettistes Carré et Barbier avec moins de finesse que leur Faust pour le même compositeur, implique sans vraiment les dessiner un trio dans lequel le ténor tient le rôle le plus dur à chanter, avec un seul air quelque peu connu, porté notamment en récital par Roberto Alagna ou Bryan Hymel. Dans la cité phocéenne, ne s'impose pas en Adoniram sensuel et pèche parfois par un manque de douceur sur certains piani, notamment dans le grand duo avec Balkis, mais il présente une voix d'airain d'un bout à l'autre de l'ouvrage, dont il dépasse toutes les difficultés avec une superbe bravoure dès l'air d'entrée.

La Reine l'aime et s'apprête à trahir le roi pour cet architecte qui lui a construit un superbe palais. Ce bâtisseur est lui-même trahi par ses trois ouvriers, auxquels il refuse le titre de maître, au risque de se faire poignarder. Ceux-ci nous ravissent de leurs interventions :  tient une fine partie de ténor pour Amrou, celle plus neutre du spectre de baryton de Méthousaël, tandis que campe de ses graves pleins la partie de Phanor. Leur ruse ne suffit pas à convaincre le roi, Soliman, de punir leur maître Adoniram, et c'est au souverain , souvent entendu sur cette scène, que revient une fois encore l'honneur d'afficher les graves majestueux d'un timbre à se pâmer, en plus d'une diction précise et même sensible pour son grand air, déjà féministe pour l'époque : « Sous les pieds d'une femme ». En plus du Sadoc d' et de la Saraphil de , seuls chanteurs sans partition à la main, présente une valeureuse Bénoni, seulement en difficulté dans un Acte III où le quatuor final sur Hosannah emmène tout le monde vers de dangereux aigus.

Après une ample présentation dès le deuxième tableau d'un chœur particulièrement puissant lors des cinq actes, tant en parties mixtes qu'avec les femmes ou les hommes seuls, entre en scène à la suite du roi, pour un premier trio avec son futur mari et son futur amant. La ductilité de la ligne alliée à l'éclat du timbre magnifie l'air de l'acte III, « Me voilà enfin seule », autant qu'ils lui permettent de ressortir des ensembles. La souplesse des vocalises démontre l'agilité d'une technique bel cantiste qui permet d'impressionnantes montées à l'aigu, supérieures en volume à un orchestre pourtant jamais sur la réserve.

Lancé dès l'Introduction à toute puissance, la formation maison sous la direction de , chef victorieux du Concours de l'Opéra de Marseille en 2014 et associé depuis à Lawrence Foster, procure à l'ouvrage une formidable énergie. La célérité des parties, sous les chanteurs comme dans les moments de ballet, stimule toute la représentation, avec pour seul reproche de ne parfois pas montrer assez de subtilité ou de réserve. Les musiciens déploient sous cette battue sans aucune bride toute leur flamme et montrent à nouveau, jusqu'aux cuivres embrasés dans les parties symphoniques, la hausse du niveau de l'orchestre cette dernière décennie. De cette excellente représentation, nous ne pouvons que réitérer un regret : l'absence d'enregistrement pour en garder une trace.

Crédits photographiques : © Christian Dresse

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