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Un violon sur le toit à Strasbourg : magique tragi-comédie

Pour son spectacle de fin d'année, l'Opéra national du Rhin importe de Berlin la mise en scène de   d'Un violon sur le toit, une comédie musicale en rien traditionnelle.

Créée en décembre 2017 au Komische Oper de Berlin, la production de demeure l'une de ses plus éclatantes réussites. Parfaitement au fait de ce qu'il traite puisque son grand-père dut s'exiler d'un ghetto de Biélorussie jusqu'en Australie, trouve le ton juste entre joie et peine, entre divertissement et réflexion, sans omettre l'humour omniprésent, masque du désespoir. Car Un violon sur le toit, créée à Broadway en 1964, n'a rien d'une comédie musicale traditionnelle. Dans l'histoire de cette communauté juive d'un petit village (un schtetl) aux marges de l'Empire russe sont abordés des thèmes toujours actuels : ce qui constitue la judéité, l'antisémitisme et ses persécutions, l'exil imposé à la diaspora, le rejet des traditions par la jeune génération, la nostalgie sur le temps qui passe et les changements qu'il impose. Point de happy end non plus puisque la communauté est chassée du village et que Tevye et sa femme décident de partir en Amérique en laissant à leurs destins leurs trois filles aînées.

Le premier acte décrit le quotidien de la communauté, le poids de la tradition, la vie rude mais aussi la joie des fêtes et des mariages plus ou moins arrangés. Plutôt moins que plus en ce qui concerne le laitier Tevye qui doit se résoudre à accepter l'union de ses trois filles aînées selon leur cœur et non selon les manigances de la marieuse Yente. Mais pour la troisième Chata, qui se marie sans son accord avec un goy russe, cela ne passe pas et il la renie. Dans le décor de Rufus Didwiszus, le schtetl prend la forme d'un amoncellement tournoyant de meubles et d'armoires par où l'on entre et sort et dont Barrie Kosky joue en virtuose avec une extraordinaire précision dans la direction d'acteurs et le maniement des foules chorales. Les tableaux festifs sont sidérants d'entrain et d'énergie grâce aux chorégraphies d'Otto Pichler retravaillées par Silvano Marraffa et interprétées par une fantastique et inspirée troupe de danseurs. La menace plane néanmoins et l'entracte arrive sur l'image de Tevye s'en prenant au ciel pour les brimades dont sa famille vient de faire les frais.

Le second acte, celui des difficultés et de l'exil final, prend place sur un plateau dénudé où tombe continûment la neige. Sans appuyer, Barrie Kosky s'y fait profondément émouvant et trouve des images fortes et mémorables : le vieux rabbin abandonné qui claudique vers le fond du plateau, ou la charrette du laitier qui sert à emporter les rares affaires qui ont échappé au vol par les autochtones. Ici encore, la parfaite direction d'acteurs dessine avec précision des caractères et des comportements d'une totale humanité.

Dans l'abondante distribution, il est malheureusement impossible de citer chacun mais tous se coulent avec naturel dans les indications scéniques, individualisent avec pertinence leurs personnages et, discrètement sonorisés comme il se doit pour une comédie musicale, se montrent à la hauteur de leur partition. Une vraie troupe homogène et concernée. Le rôle central de Tevye trouve en un interprète sensible, à l'émission vocale très spontanée et naturelle, aussi touchant dans ses débats cornéliens que drôle dans ses prises à parti de Dieu. donne à son épouse Golde la forte personnalité et le contrepoids scénique et vocal nécessaires. Leurs trois filles sont parfaitement individualisées avec la densité vocale de en Tzeitel, le cristal de en Hodel ou l'émouvante Chava d'. Quant à leurs amoureux et maris, est un virevoltant Motel Kamzoil, rompu à la comédie musicale et très bien chantant, donne tout son relief au révolutionnaire Perchik tandis que se fait remarquer par sa puissance et sa qualité vocale en Fryedka. Mentionnons encore la truculente Yente de Cathy Bernecker, l'accompli Lazar Wolf de ou l'irrésistible composition de Gérard Welchlin en rabbin cacochyme, sans oublier le jeune violoniste Joachim Zimmermann qui ouvre et clôt le spectacle seul en scène avec beaucoup d'aplomb.

Après avoir conduit cette même production à Berlin, le chef  renouvelle son succès en grand connaisseur du style « comédie musicale » qu'il a souvent dirigé. L' s'encanaille avec délices dans les rythmes chaloupés et les sonorités « Mitteleuropa » de la partition. Toujours irréprochable, le assure avec entrain les ensembles et les chorégraphies tout comme la douceur amère de ses interventions hors scène au deuxième acte et de son adieu au village. Une ovation unanime a salué au rideau final ce spectacle en tous points proche de l'idéal.

Crédits photographiques :  (Tevye) /  Gérard Welchlin (le Rabbin) et le Choeur de l'Opéra national du Rhin © Klara Beck

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