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Lucas Debargue et Tugan Sokhiev, l’héroïsme et la fureur

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage…C'est sans doute en se remémorant amèrement ces vers de Joachim Du Bellay qu'une partie restreinte du public parisien est enfin parvenue, en ces journées troublées, à la Philharmonie de Paris pour assister à ce concert contrasté de l'ONCT conduit par son directeur musical , avec en soliste. 

Le Concerto pour piano n° 1 de a en ce moment les faveurs des pianistes sur la scène de la Philharmonie de Paris. Après Martha Argerich et Sir Antonio Pappano le mois dernier, c'est maintenant au tour de entouré de l' et de de remettre sur le métier cette œuvre célébrissime. Si la grande Martha en avait exacerbé toute la poésie tourmentée par son exceptionnel toucher, en favorise, a contrario, tout l'héroïsme par son jeu très appuyé, sa main gauche puissante et sa pédale généreuse, dans une lecture très engagée, annoncée par les grands accords plaqués convulsivement dès l'entame du premier mouvement, avant que ne s'engage un dialogue serré avec la clarinette (Floriane Tardy) et des cordes très lyriques. Seul l'Adagio apporte un court répit avant la poursuite d'une cavalcade virtuose scandée par le triangle qui paraît, ici, bien anecdotique, précédant un final grandiose et équilibré où soliste et orchestre rivalisent de vigueur et de complicité. En « bis » la Sonate en mi bémol majeur K. 253 de Domenico Scarlatti et la Toccata d'après un prélude de Bach en do mineur, composée par Lucas Debargue lui-même, parachèvent un succès mérité.

Si la première partie relevait d'un héroïsme vainqueur, c'est au drame et à la fureur qu'emprunte cette interprétation de la Symphonie n° 8 de Dimitri Chostakovitch. Oscillant entre hargne et déploration et l'ONCT nous en livrent une lecture quasi expressionniste très « russe » s'inscrivant dans la droite ligne de Mravinski ou Kondrachine, (mais d'un tempo plus lent) faite de glace et de feu, d'humour grinçant et de larmes, d'une ampleur sonore exceptionnelle. Deuxième symphonie de guerre composée en 1943, véritable requiem profane, c'est dans une ambiance de recueillement quasi religieux, entretenue par les cordes graves, que débute l'Adagio initial, avant que l'Allegro et son grand crescendo scandé par les percussions ne pousse la tension à son extrême limite à grand renfort de stridences des bois, d'appels cuivrés pour finalement confiner au néant d'où seule émerge la douce complainte du cor anglais de Gabrielle Zaneboni. L'Allegretto dont on admire la mise en place fait la part belle à la petite harmonie et tout particulièrement au piccolo grinçant et sarcastique de Claude Roubichou tandis que l'Allegro non troppo impressionne par son urgence et son ostinato oppressant recrutant progressivement tous les pupitres dans une parfaite lisibilité des plans sonores. Le Largo regroupe ensuite toutes les forces du tutti (cordes, cuivres et bois graves) dans une sorte de lamento qui s'élève comme une prière avant un Final chargé d'ambiguïté tout occupé d'un faux lyrisme où s'opposent, dans une impossibilité de dire, petite harmonie, cordes et percussions avant que la lutte acharnée ne se résolve dans un souffle préludant à un long silence.

Voilà bien une interprétation qui interpelle, tant par la justesse de la direction que par la qualité de l'ONCT.

Crédits photographiques ; Tugan Sokhiev © Marc Brenner ; Lucas Debargue © Felix Broede

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