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Alceste de Schürmann, le baroque allemand à Schwetzingen

Trop de coupures nuisent gravement à la partition, mais ce qu'on entend justifie amplement que cette œuvre retrouve les chemins de la scène.

L'opéra baroque allemand est encore un continent mal connu : l'éditeur discographique CPO permet de s'en faire une première idée ; surtout, les deux enregistrements de en la matière (Croesus de Kaiser et Orpheus de Telemann) ont pu montrer la formidable vitalité de cette musique. Ce qui lui manque encore, c'est surtout l'expérience de la scène, à quelques exceptions près. Le mini-festival du Théâtre de Heidelberg à Schwetzingen commence cette année une série consacrée à ce répertoire avec La fidèle Alceste de , créée en 1719 : on y retrouve le goût des intrigues foisonnantes venu de l'opéra vénitien, une orchestration aux couleurs vives et originales, une vivacité dans le récitatif – un disque d'extraits un peu terne chez CPO permet d'en avoir une première idée.

Hélas, les contraintes de ces représentations à Schwetzingen réduisent également à des extraits (un peu plus généreux) ce qui était supposé être la première présentation scénique moderne de l'œuvre. Ce n'est pas la logique de ce répertoire que d'aller droit au but : en un peu moins de deux heures de musique, il n'y a pas d'autre choix que de sacrifier les intrigues secondaires à l'action principale, et il reste ainsi autour des personnages principaux tout un personnel dont les rôles sont devenus trop épisodiques pour remplir leur rôle dramatique. L'articulation entre récitatif et air est également mise en péril par l'ampleur des coupures effectuées, et les rares airs préservés – souvent les plus amples – en paraissent d'autant plus interrompre radicalement une action qui file à toute allure le reste du temps.

Le metteur en scène a choisi de redistribuer les trois actes originaux en quatre tableaux, avec des décors fortement contrastés, du réalisme balnéaire un peu plat du premier tableau au dépouillement austère qui accueille le dénouement. Le spectacle gagne donc en intensité au fil de la soirée ; le metteur en scène, qui a largement contribué à l'amputation de la partition, ne semble pas avoir de point de vue bien déterminé sur l'oeuvre, mais le résultat a une certaine efficacité qui, au moins, ne court pas le risque de prendre le pas sur la musique.

C'est qui dirige ce spectacle, à la tête de l'orchestre habituel du théâtre de Heidelberg, au prix d'une transposition de certains rôles pour compenser l'abandon du diapason très bas présupposé par la partition. Elle renonce fort heureusement à l'injection à haute dose de poncifs jazzy et world music qui rendent ses Monteverdi inécoutables ; même avec un orchestre moderne, elle parvient à conserver quelque chose de la singularité de cette musique dans les riches couleurs instrumentales qu'elle déploie, et dans la diversité de ses influences italiennes et françaises ; elle peine cependant à donner un véritable rythme à la soirée, sans doute faute de sens du théâtre. La distribution, elle, est la meilleure de celles que nous avons pu voir à Schwetzingen ces dernières années : c'est un remarquable couple central qui porte la représentation, en Alceste et surtout le contreténor , percutant et d'une belle vaillance. peine un peu dans les vocalises impitoyables du grand air d'Hercule juste avant l'entracte, tandis que le couple ancillaire ( et ), pour le peu qu'il a à chanter, parvient à imposer sa silhouette et sa signature vocale. Reste à espérer que, pour les étapes ultérieures de ce cycle germanique, le Théâtre de Heidelberg saura trouver des œuvres plus facilement adaptables à la contrainte de durée qu'il s'impose.

Crédits photographiques © Susanne Reichardt

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