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La Punaise, Amour et Haine : deux premières mondiales instructives de Chostakovitch

Le chef poursuit son travail passionné de restitution des oeuvres disparues de Chostakovitch. En première mondiale, deux nouvelles musiques de film qui pour être « alimentaires » recèlent des pages réjouissantes et étonnantes.

On ne compte pas moins d'une quarantaine de musiques de films et une dizaine de musiques de scènes et de spectacles divers, composées par Chostakovitch. Pour nombre de musiciens de l'ère soviétique, l'industrie cinématographique et le théâtre représentèrent une manne financière non-négligeable. Grâce à de nombreuses commandes, ils pouvaient ainsi gagner convenablement leur vie. En contrepartie, le régime utilisait ce levier financier pour contrôler des artistes au caractère souvent… rebelle. Après Odna (Seule) (Clef ResMusica)Podrugi (Les amies), La Nouvelle Babylone (Clef ResMusica), Le Taon, a reconstitué les musiques de La Punaise et Amour et Haine.

En 1929, Vsevolod Meyerhold sollicita le tout jeune Chostakovitch – Prokofiev fut d'abord pressenti – pour composer la musique de La Punaise de Vladimir Maïakovski. L'esprit satirique de l'œuvre déplut au musicien, mais il accepta le travail. Maïakovski adorait les fanfares de pompiers. Il fut « gâté » ! Elles irriguent la première partie de la partition. L'œuvre connut un certain succès puis disparut de l'affiche. La partition fut perdue et retrouvée, en partie, en 1980. Le style évoque autant Weill qu'Hindemith. Teintée de foxtrot, valses et d'effets burlesques « à la Stravinsky », elle se veut une critique des petits-bourgeois. Elle dénonce tout autant la bassesse et l'idiotie des fonctionnaires du régime. La critique à peine voilée avec extrapolation dans le temps (la première partie traite de l'année 1929 et la seconde, de l'année 1979) est portée par un instrumentarium bariolé dont se régalent les interprètes allemands : flexaton, balalaïka, guitare, accordéon et chœur d'hommes offrent un saisissant accompagnement du théâtre iconoclaste de Meyerhold.

La musique du film Amour et Haine (1934) se situe juste après la composition de la Première Suite pour orchestre de jazz et avant la Sonate en ré mineur pour violoncelle et piano. Nul lien entre ces partitions, pourtant. Chostakovitch « isole » les écritures les unes des autres. Dans ce film réalisé par Albert Gendelstein – disciple talentueux d'Eisenstein –, le réalisme socialiste s'impose. Mais, avec Chostakovitch, la dimension lyrique de la tragédie de la Guerre civile accompagne une image d'une force expressive remarquable. L'écriture musicale est proche, par certains aspects, de la cantate (emploi de l'orgue et du chœur) et pressent la force héroïque de la Symphonie n° 5. Réminiscences moussorgskiennes, humour doux-amer, chansons nostalgiques et révolutionnaires, marches de cirque, emprunts à quelques pièces pour piano… Le génie versatile de Chostakovitch joue d'une mosaïque sonore que l'orchestre de traduit avec beaucoup de verve et de clarté.

Il est pour le moins étonnant de songer que la plupart des personnages qui jouèrent dans ce film furent, au fil du temps, éliminés lors des purges staliniennes. La partition perdue lors du siège de Leningrad a été reconstituée d'après la version pour piano, quelques morceaux orchestrés et la bande-son du film.

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