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À Saint-Étienne, Don Quichotte sur son lit de mort

La noirceur mélancolique du Don Quichotte de Massenet inspire de bonnes idées de mise en scène de la part de , et une interprétation musicale convaincante de , sans que l'alchimie de l'ensemble de ces forces vives s'opère totalement.


Le Don Quichotte de Massenet n'est pas une adaptation du célèbre roman de Cervantès, mais celle d'une comédie de Jacques Le Lorrain qui mourut quelques jours après la première de son Chevalier à la longue figure au Théâtre Victor-Hugo à Paris en 1904. Du premier, on retrouve toutefois les espagnolades, les moulins à vent (intégrés par le librettiste par rapport à la pièce de théâtre), et les noms de Don Quichotte, de Sancho et de Dulcinée. Mais en vérité, c'est une figure christique que l'histoire met en scène, le soulignant ici par des scènes emblématiques telles que le lavement de pieds opéré par son acolyte Sancho avant son sacrifice ultime, ou bien l'aura spirituelle justifiant la conversion des brigands envers un roi pourtant tourné en dérision peu de temps auparavant.

C'est par un décor dépouillé que cette production compte accompagner Don Quichotte sur son lit de mort. Un accessoire central tout au long de la représentation, le personnage en chemise de nuit et avec un visage mortifère, vivant ses derniers soubresauts entre souvenirs, fantasmes et délires. Tout autour, afin de véhiculer cette ambiance sombrement irréelle et où la mélancolie règne : une toile vaporeuse où jeux de lumières et projections d'images alternent ; un énorme miroir déformé tourné vers Don Quichotte qui ne perçoit plus la réalité comme elle est ; et une simple étole ou un drap immaculé pour accompagner les différents échanges avec l'être dont il est épris. Les quatre figurants fantasmagoriques qui évoluent sur scène en parallèle pour mettre en lumière cet esprit malade n'y feront rien : l'aspect psychologique de l'ouvrage n'est pas suffisamment prenant pour une adhésion entière face à ce parti pris.

Pour combler ce tableau vide, le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire évolue sur scène un peu maladroitement. La projection des voix est un brin faible, et la diction gagnerait à être plus travaillée. Les voix sont toutefois homogènes de bout en bout mais mériteraient plus d'incarnation pour faire vibrer la salle. Du côté des trois solistes, expose sans conteste un jeu théâtral admirable. Vocalement, sa voix lumineuse et puissante ne retranscrit probablement pas celle de son héros vivant ses dernières heures, mais plutôt la force fédératrice de ce personnage, riche en couleurs, et dont la diversité des facettes est un formidable terrain de jeu qui n'est ici pas pleinement exploité. L'émotion, la compassion, c'est très clairement auprès de incarnant Sancho que nous la ressentons. Par sa fantaisie touchante, sa bonhommie candide, par son humanité en somme, déjà perceptible dans son incarnation de Pandolfe à Nancy pour un autre opéra de Massenet.

La voix féminine de Dulcinée, interprétée par , s'identifie par un timbre charnu et des effets parfois un peu forcés, la caractérisation de ses différents apparats restant finalement assez peu perceptible. Quant aux quatre soupirants, ils donnent parfaitement la réplique dans une ambiance sulfureuse autour de cette héroïne qui ne se fourvoie pas dans une vulgarité caricaturale.

Du côté de la fosse, en cette soirée de première, reçoit dès son retour de l'entracte les félicitations de la salle, avec des applaudissements marqués, ponctués de « bravos » élogieux. Portant au mieux le thème de la sérénade, l'une des perles de l'ouvrage, mêlant au plus près les vapeurs inquiétantes et le ton religieux de l'orgue au moment de la prière de Don Quichotte, l'Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire défend avec conviction la science orchestrale de la partition entre espagnolades, tendre badinage, et romanesca mélancolique.

Crédits photographiques : © Hubert Genouilhac

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