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Éric Montalbetti, entre rigueur et sensualité

Trois pièces de musique de chambre très récentes d'Éric Montalbetti et un trio avec piano beaucoup plus ancien, mais révisé en 2015, dévoilent une nouvelle facette de l'univers du compositeur dans ce deuxième CD monographique, après les six solos parus en 2016 sous le même label.

Éric Montalbetti compose depuis l'âge de onze ans mais ce n'est qu'en 2015 qu'il prend sa carrière en main, à une époque de sa vie où il peut consacrer sa pleine activité au temps long de l'écriture. Plus de vingt pièces allant du solo à l'orchestre et aux formations chorales s'inscrivent au catalogue du compositeur et la liste impressionnante de projets, avec l'orchestre notamment, donne la mesure de l'élan qui l'anime.

Nombreuses sont les partitions qui font référence aux arts plastiques, la peinture et la sculpture notamment, chez Montalbetti qui aime instaurer des correspondances entre les arts. Deux des quatre pièces de cet enregistrement en témoignent. Très atypique est l' Hommage à Matisse (2019), duo pour voix de femme et clarinette en trois mouvements (Nu, Éclat, Couleur), où la mezzo-soprano vocalise sur des voyelles-phonèmes laissant ça et là l'empreinte d'un mot reconnaissable : timbres soyeux et flexibilité des lignes des deux partenaires – et – tout à la fois solidaires et autonomes. La ligne vocale est comme aimantée par la clarinette agile qui gagne progressivement les aigus dans Nu. Paradoxalement, c'est dans Éclat que l'ombre se dessine, sous les flatterzunge et sons-bruités de la clarinette amenant un grain plus sombre et une certaine fragilité des contours. La ponctuation finale est diablement boulézienne! L'espace balayé par la clarinette est toujours dûment contrôlé dans Couleur où l'instrument volubile dessine ses arabesques irradiantes autour de la voix. Les instruments respirent en même temps et parfois fusionnent, au gré d'une trajectoire qui semble quasi improvisée.

Composition suprématiste, Formes circulaires, Formes uniques de la continuité sont autant de références explicites aux peintres et sculpteur qui inspirent l'écriture du Trio pour piano, violon et violoncelle (1990-2015) : El Lissitzky et Kasimir Malevitch, Robert et Sonia Delaunay, Umberto Boccioni. Le discours est tendu et l'écriture foisonnante, sorte de mélodie de timbre tout en aspérités, dans un premier mouvement défendu bec et ongle par les Solistes de l'Intercontemporain. La dialectique du mobile et de l'immobile s'exerce ensuite dans Formes circulaires où l'enchevêtrement des voix polyphoniques relève de l'esprit du canon. Sous ses allures de toccata, le troisième mouvement file droit, dont les trois lignes instrumentales superbement tressées n'en lancent pas moins leurs éclats multiples. Les interprètes n'en font qu'une bouchée !

On est séduit et fasciné par le jeu magistral des deux partenaires, et , dans le Duo pour violon et piano (2019), « Chant de remerciement pour les amis », enregistré lors de la création allemande : toucher perlé du pianiste dont l'ampleur et l'élégance du geste servent une écriture essentiellement mouvante et verticale. Le violon est porté par un même élan vers les seuils de son registre. Sa quête éperdue vers la lumière évoque plus d'une fois l'ardeur d'un Berg dans le Concerto à la mémoire d'un ange quant la cadence du piano au centre de l'œuvre oppose une dimension percussive et une écriture en aplats de couleurs qui fige pour un temps le mouvement. Le jeu instrumental ne transgresse guère les modes de jeu traditionnels, dans une écriture ciblée sur la couleur instrumentale, l'opposition des registres et la virtuosité-flexibilité des lignes. Les perspectives changent sensiblement dans le quatuor à cordes Harmonieuses dissonances (2019), dont le titre vise malicieusement les interprètes (le Quatuor ) à qui l'œuvre est dédié. La partition est d'envergure (24′), conçue d'une seule traite même si les quatre mouvements traditionnels s'y dessinent au fil de l'écoute. Le timbre est au service de l'expression, sollicitant le jeu sur le chevalet, avec le bois de l'archet ou en pizzicati, autant d'altérations du son en lien avec la dramaturgie. Car la tension est toujours entretenue, tout comme la fermeté voire l'âpreté du geste et la vigueur polyphonique, dans une première partie sans concession. Au mitan du quatuor, le solo de violoncelle sur une toile en pizzicati, semble agir comme un signal dans une trajectoire où cellules thématiques et figures structurelles fibrent l'écriture et engendrent une dimension narrative. C'est à Schoenberg que l'on pense et aux ressorts de la variation continue, s'agissant d'une partition d'une grande rigueur d'élaboration, restituée de manière exemplaire par .

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