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« Ce qu’il s’est passé de spirituel le 11 septembre 2001 » par Lambert Dousson

Faite lors d'une conférence de presse qu'il donnait à Hambourg le 16 septembre 2001, en marge du festival où le compositeur était invité, la déclaration de au sujet de l'attaque terroriste des tours jumelles du Word Trade Center soulève dans le milieu artistique une vague d'indignation qui va le poursuivre jusqu'à sa mort en 2007.

Lambert Dousson y revient dans cet essai philosophique aussi argumenté que virtuose, menant une réflexion approfondie sur les propos du compositeur allemand au regard de l'éthique artistique de ce rêveur d'inouï. « Ce qu'il s'est passé le 11 septembre 2001 » : c'est la formule récurrente utilisée par l'auteur pour nommer ce que Stockhausen a décrit comme « la plus grande œuvre d'art pour le cosmos tout entier », invitant le public qui l'écoutait ce 16 septembre 2001 à accomplir « une révolution dans son cerveau… ».

Fil après fil, dans un engendrement de questionnements continu et un cheminement quasi rhizomique de la pensée, l'auteur démêle l'écheveau, réfléchissant sur la nature de l'œuvre d'art, de l'acte performatif et la métaphysique de cette puissance performative chez Stockhausen, s'appuyant sur les thèses de John Langshaw Austin, de Walter Benjamin ou encore de Jean Baudrillard et Jacques Derrida, tout en revenant sans cesse sur la question posée par le journaliste au compositeur, lors de la conférence de presse du 16 septembre, à savoir « s'il n'y avait aucune différence entre le crime et l'œuvre d'art ».

L'ouvrage se scinde en deux parties, « malentendu » pour la première, « sublime » (cette digestion de la politique dans l'art pris comme objet) pour la seconde traitée beaucoup plus rapidement que la première : « deux vérités » nous dit Dousson, artistique d'une part, politique d'autre part. Deux œuvres parmi les expériences sonores les plus transgressives de Stockhausen sont abordées plus en détail. Hymnen d'abord, ou plus exactement la quatrième Région, « calque », selon Dousson, de l'expérience sonore faite par le jeune Stockhausen « des bombardiers attaquant en piquet » : ces bruits de guerre entendus dans son enfance et vécus par lui comme « une composition acoustique et une sorte de musique », selon le compositeur, ont pu entrer en résonance avec l'attaque terroriste des Twin Towers. L'autre exemple particulièrement pertinent concerne la musique « totale » de Helikopter-Streichquartett, une performance décrite comme un rituel dans les Entretiens avec Jonathan Cott : « […] une épreuve d'initiation, un rite du renoncement à « l'essence » du quatuor à cordes, organisés afin de faire mourir les hommes qui vous retiennent à la terre et passer « le vêtement de l'homme neuf », nous dit Stockhausen, reprenant ici l'expression de l'apôtre Paul s'adressant aux Colossiens !

Avec méthode et une remarquable acuité analytique, Lambert Dousson décrypte l'expérience transgressive de Helikopter-Streichquartett à travers laquelle Stockhausen réalise un rêve qu'il décrit ainsi : « […] j'étais au-dessus des quatre hélicoptères dans lesquels se trouvaient des musiciens » : un rêve qui lui aurait permis de reconnaître, dans l'attaque terroriste du 11 septembre, « l'œuvre de destruction personnifiée en Lucifer », l'un des trois personnages de son opéra Licht. Les propos sont ceux du communiqué du 19 septembre où Stockhausen tente en vain de mettre fin au « malentendu ». Lambert Dousson, quant à lui, poursuit sa thèse, en avançant le concept d' « au-delà ». « Ce qu'il s'est passé le 11 septembre 2001 » est au-delà de tous les rêves de Stockhausen, « quelque chose que nous-même en musique ne pourrions jamais rêver » selon l'auteur : une musique de « l'autre-côté » et, en cela, « la plus grande œuvre d'art possible pour le cosmos tout entier ».

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