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L’Imperial Palace retrouve son public à Annecy

Pour le public en demande tout autant que pour les interprètes privés de la scène durant de longs mois, il était important qu'ait lieu l'Imperial Annecy Festival. C'est ce que nous dit en substance en charge de l'affiche de « classic'all », trois journées dédiées au grand répertoire et programmées entre « les Impériales du jazz » et « l'Impérial s'amuse ».


Concerts avec vue

À l'heure de l'apéritif, sur la terrasse de l'Imperial Palace qui domine le lac, les concerts de 18 heures sont gratuits et font la part belle aux musiques improvisées, jazz, fusion ou musique traditionnelle, selon les orientations de chacun. Supa Dupa est un groupe lyonnais de tendance hip hop puisant ses racines dans le jazz et la soul. Entourée de ses musiciens (batterie, guitare et basse électriques, claviers et saxophone ténor) la sémillante Macy Lu, balançant entre rap et soul, tient la scène durant une heure, électrisant son public au point de le faire danser.

Jabuticaba désigne une espèce d'arbre brésilien et le fruit qui pousse à même son tronc. Jabuticaba Quartet, ce sont quatre musiciens (deux brésiliens et deux français) dont une chanteuse, qui s'emparent des mélodies et rythmes du répertoire brésilien : les sambas d'une part, plus populaires et dansées en groupe, la bossa nova d'autre part, plus élitiste et rarement dansée, qui rejoint les milieux du jazz de Rio de Janeiro : ce que nous explique la chanteuse Raísa França Bastos, rayonnante sur le devant de la scène. Elle est accompagnée par Rémi Reber, fabuleux guitariste donnant lui aussi de la voix. Danny Reber prend en alternance clarinette et petites percussions, assis sur son cajón qu'il joue avec des balais de percussionniste. La flûte traversière s'entend également sous les doigts d'Augusto de Alencar, lorsqu'il n'est pas au tambourin : moment musical plein de douceur et d'enchantement, avec cette touche de nostalgie qui vient délicatement infléchir les mélodies du Brésil.


Artiste Spedidam (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes), soutenu par l'organisme durant trois ans, Joel Hierrezuelo Quintet s'inscrit très clairement dans l'univers du jazz. Il réunit autour de la guitare électrique de Joel Hierrezuelo quatre musiciens dont on apprécie les talents respectifs lorsqu'ils prennent leur chorus à tour de rôle : trompette généreuse et ductile de Roman Reidid, virtuosité sous les baguettes du batteur Lukmil Perez Herrera comme sous les doigts du pianiste Leonardo Montana. Guitariste émérite et percussionniste, Joel Hierrezuelo est aussi un chanteur au timbre rare, qu'on aurait aimé entendre davantage.

En soirée

La Salle de l'Europe est comble pour le premier concert en soirée (le 23 à 21h) invitant le duo de piano des deux sœurs Buniatishvili, Katia et Gvantsa : concert événement dans la mesure où elles ne donnent que cinq concerts par an où elles sont toutes deux réunies. La soirée débute sous le signe du théâtre avec l'ouverture de La Flûte enchantée de Mozart qu'elles jouent à quatre mains, Gvantsa assurant la partie inférieure. Si les accords du début ne résonnent pas avec l'assise harmonique attendue, la fugue se dessine sous leurs doigts avec une précision et une énergie jaillissante. Toujours à quatre mains mais d'une seule « voix », elles poursuivent avec les Danses hongroises de Brahms abordées avec la liberté du rhapsode et un panache qui transporte. Le jeu est aisé, dans la souplesse et la fluidité du geste. Ce sont les contrastes qui sont recherchés dans la Rhapsodie hongroise n° 2 pour quatre mains de Liszt opposant les basses profondes et mystérieuses d'une première partie quasi introspective au registre clair et aux manifestations bruyantes d'une seconde partie mettant en valeur la digitalité inouïe de Katia et l'abattage virtuose des deux pianistes qui mènent à leur gré le discours. À deux pianos cette fois, la suite de Porgy and Bess de magnifie les couleurs et l'expressivité de la ligne mélodique sous les doigts de l'ainée Gvantsa : même énergie et même toucher chez les deux pianistes dont l'élégance du geste et l'aura lumineuse de la sonorité séduisent. Dans La Valse de Ravel, c'est le mouvement cinétique qu'elles privilégient, avec cette liberté dans la conduite de la phrase qui n'évite pas un certain maniérisme (pas sûr que Ravel ait apprécié). L'aisance virtuose est souveraine et le tourbillon « fantastique et fatal » des dernières pages ne manque pas d'impressionner.

Elles reviendront deux fois sur scène, avec une célèbre Danse hongroise de Brahms (à quatre mains) et Libertango de Piazzola, pour finir dans l'énergie de la danse qui traverse le jeu de ces deux interprètes.

Autre artiste Spedidam, la mezzo-soprano , appréciée en 2018 dans ce même contexte, revient sur la scène de l'Imperial Palace (le 25 à 21h) avec son fidèle pianiste et un troisième comparse, le violoncelliste , dans un programme conçu spécialement pour cette édition 2020 de « classic'all » allant des couleurs de l'Espagne à celles de la comédie musicale américaine, en passant par la « french touch » des Fauré, Massenet, Debussy et Ravel et un fil rouge qui les relie, celui de la « vocalise ».

débute avec Les Filles de Cadix de Leo Delibes : voix galbée et séduction du timbre dans cet air très enlevé. Gaspard Cassado et des extraits de sa Suite pour violoncelle (Intermezzo et Danse finale) lui font écho. La Jota endiablée met au défi dans l'acoustique plutôt sèche de la Salle de l'Europe. Le voyage en terre andalouse est ponctué par la Vocalise en forme de Habanera de , tout en langueur et rythme chaloupé, interprétée par et sertie par les sonorités d'un piano d'une belle transparence. Du même Ravel, on préférera La flûte enchantée extraite de Shéhérazade, chef-d'œuvre de sensualité et de retenue sur le texte de Tristan Klingsor, dont Catherine Trottmann et communiquent l'émotion fugitive. La mezzo a choisi cinq mélodies de Debussy sur des poèmes de Verlaine qu'elle interprète avec une souplesse dans la déclamation, une diction claire et une délicatesse qui nous touchent. C'est aussi le lieu pour mieux écouter le piano subtilement timbré de Karolos Souganelis, soucieux d'équilibre et de transparence des textures. Avec Fauré (Après un rêve) et Massenet (Méditation de Thaïs), ce sont des pages plus que célèbres que met sur sa tablette, attachantes pour autant sous son archet très musical. Une perle pour les violoncellistes, Vocalise de Rachmaninov fait pleinement apprécier la beauté du son de l'interprète et l'homogénéité de son timbre dans tous les registres. Plus improbable est la Vocalise de l'Américain André Prévin sollicitant les trois interprètes juste avant d'aborder le répertoire outre-atlantique.

Catherine Trottmann y est tout aussi à l'aise, avec une fraîcheur du timbre, une voix qui se délie et une acuité du texte idéales. Après les chansons bien connues de My Fair Lady et West Side Story (I feel pretty), le final en beauté (Dream with me de Bernstein) ramène sur scène les voix caressantes de la mezzo-soprano et du violoncelle accompagnées par le piano. Non sans élégance, la soirée se referme avec La Barcarolle des Contes d'Hoffmann, mettant en synergie nos trois musiciens parfaitement concentrés.

Crédits photographiques : © Michèle Tosi /

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