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L’Art de la fugue de Bach selon Tatiana Nikolaïeva

signe en 1993, à l'automne de sa vie, une version des plus poétiques de L'Art de la fugue de Bach, qui voit ici sa première parution.

Le cantor de Leipzig a entamé la composition de L'Art de la fugue probablement au début des années 1740, l'intitulant initialement L'Art du contrepoint sous forme de variations fugitives. Bien que la source la plus ancienne de l'œuvre soit un manuscrit contenant douze fugues et deux canons, Bach a poursuivi son travail jusqu'à sa mort, laissant la partition incomplète. La seconde version, publiée posthumement en 1751, est plus volumineuse que la précédente, renfermant quatorze fugues et quatre canons.

L'exécution de L'Art de la fugue, considéré comme « le chant de cygne » de Bach, pose des problèmes en raison, d'abord, des incertitudes dans l'ordre des contrepoints. Deuxièmement, parce que l'édition posthume de ces pages a été complétée par le fils du cantor de Leipzig, Carl Philipp Emanuel Bach. Troisièmement, car l'instrumentarium n'est pas précisé, encore qu'il soit couramment admis que la composition fut conçue pour le clavier. En conséquence, de nombreuses possibilités s'offrent aux interprètes, que ce soit un orchestre symphonique, le clavecin, l'orgue ou un mélange de clavecin, d'orgue positif et de quatuor à cordes.

Concernant ce disque, nous avons affaire à une lecture sur un piano moderne, dont la marque n'est pas spécifiée, à l'Académie Sibelius d'Helsinki, le 26 avril 1993. Moins de sept mois plus tard, le 13 novembre 1993, Nikolaïeva sera victime d'une attaque cérébrale lors d'une exécution de l'intégrale des Préludes et Fugues de Chostakovitch à San Francisco, mourant neuf jours après, à l'âge de soixante-neuf ans.

Sous les doigts de , L'Art de la fugue de Bach devient une œuvre en trois dimensions : horizontale (l'ampleur du discours), verticale (la mise en lumière des consonances) et temporelle (la profondeur narrative). C'est tout un cosmos musical, une lecture intime et méditative. La soliste s'impose en architecte de formes soignées et pures, élaborées dans un état de concentration maximale. Presque pas une touche ratée dans son propos. Pas même la moindre précipitation. Les accents paraissent comme sculptés dans le marbre. Des sonorités épurées quoique assez sévères révèlent des teintes sombres plutôt que radieuses. À cela s'ajoute la douceur des phrasés et le sens de la dramaturgie. La pianiste vit chaque note avec tant d'ardeur et d'authenticité que son interprétation compose une grande fresque sur le temps qui passe. La fugue inachevée (Contrapunctus 14), que Bach a notée sur deux portées seulement et non quatre, s'interrompt à la mesure 239. L'autographe comporte la remarque suivante, vraisemblablement ajoutée de la main de Carl Philipp Emanuel Bach : « Au-dessus de cette fugue, où le motif B A C H a été introduit dans le contre-sujet, l'auteur est mort. » C'est là que termine son interprétation. Comme nous le rappelle le livret, lorsqu'elle l'a proposée à Londres, elle a fermé le couvercle du clavier du piano pour indiquer qu'elle ne jouerait plus de musique. La boucle se voit donc bouclée.

Cette interprétation inédite de L'Art de la fugue de Bach est une nouvelle référence parmi les lectures données au piano.

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