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Éblouissant Samson de Haendel par Alarcón

De cet oratorio d'une qualité exceptionnelle et déjà bien servi par une discographie de haut niveau, propose une interprétation intelligente et puissante, selon les choix de Nikolaus Harnoncourt, où le détail de chaque beauté semble ciselé à la perfection, tout en restant intégré dans une progression dramatique vibrante et haletante.

Haendel a écrit son Samson en 1743, soit peu de temps après son Messie. On a peu d'audace à prétendre qu'il était alors au sommet de son inspiration, d'autant moins que le public ne s'y est pas trompé, et a fait à cet oratorio un accueil triomphal, immédiat et durable. Parmi les clés du succès, il y a bien évidemment le raffinement de l'écriture de Haendel, allié à un sens du grandiose qui sied bien à l'origine scripturaire de l'histoire. Mais il y a aussi cette adresse due à Hamilton de déplacer l'histoire extraite du Livre des Juges XII – XVI dans un temps où l'essentiel est déjà révolu, et dans l'espace unique du cachot de Samson. Ce déplacement évite à la narration de trop pencher vers l'opéra, donc d'affirmer la forme oratorio, mais aussi de donner à l'ensemble de la structure une finalité théologique assez claire. En effet, le héros évolue selon des stades bien marqués : une triple tentation (1-déréliction dans la cécité, 2-séduction de Dalila, 3-provocation d'Harapha), puis l'acceptation des outrages, l'entrée libre dans un sacrifice expiatoire et libérateur pour son peuple, la mise au tombeau (marche funèbre) et l'apothéose finale. Ce sont autant de façons de transformer l'épisode vétérotestamentaire de Samson en une geste d'anticipation christique. Cette vaste séquence est d'ailleurs bornée au début par une citation de la Genèse (la création de la lumière) et sur la fin, par une allusion assez explicite à l'Apocalypse (la trompette des anges), comme pour relever encore la portée universelle de l'Histoire. Nul doute que le public de Londres en 1743 a dû saisir cette analogie.

La direction d'Alarcón justement a ceci de génial qu'elle rend transparentes toutes les intentions de Hamilton et de Haendel. La beauté et la majesté des lignes mélodiques, le détail de chaque pupitre, la pulsation rythmique alla Gardiner rend justice à toutes les merveilles d'écriture musicale, et logique la construction du livret, jusqu'à ses petites incohérences. L'œuvre s'écoute de bout en bout sans perdre sa tension, et se visite comme un monument architectural magnifique et élégant. Chaque réplique devient saignante, chaque climat scénique ou psychologique devient immédiatement palpable, chaque personnage s'épanouit dans sa juste dimension. Le cas de Dalila est exemplaire : sous la battue d'Alarcón, elle n'est pas cette super-serpente, cette grande perfide du répertoire. Elle est belle, jeune, séduisante et amoureuse. Son problème, c'est qu'elle n'a pas su gérer son conflit de loyauté entre son « mari » et son peuple, qu'elle a fait le mauvais choix, et qu'elle est incapable de l'assumer. Sa dissociation mentale est d'ailleurs clairement suggérée par Haendel lui-même dans l'air « With plaintive notes », où l'écho d'une deuxième voix de femme décrit bien sa schizophrénie. Son irruption dans le cachot devient compréhensible : la pauvrette est cinglée, et elle nous fait pitié. Samson, lui, présente une progression psychologique humaine et surhumaine prodigieuse. Du vide sidéral de « Total eclipse », il se reconstruit peu à peu dans l'adversité face à ses ennemis, regagne en confiance en lui-même « I begin to feel some inward motions » et rentre enfin librement dans le sacrifice, dans un martyr à sa hauteur héroïque. On pourrait continuer à décrire ainsi chaque scène, chaque personnage: la brutalité du corps-à-corps vocal de Samson et Harapha, l'alcoolisation discrète mais perceptible du Philistin pendant la fête à Dagon, la terreur des Philistins pendant l'écroulement du temple… Sous la baguette inspirée d'Alarcón, tout devient vivant, évident, parfaitement mesuré et cohérent. C'est un régal pour l'esprit autant que pour l'oreille.

fait briller de sa voix solaire, souple et puissante toutes les facettes du personnage de Samson. Jeune et fort, amant et guerrier crédible, d'abord désespéré puis ardent dans ses élans de courage et dans sa détermination finale, son incarnation est un modèle. La réussite de cette gravure doit beaucoup à ses talents. dans Micah est plus qu'un faire-valoir ou un narrateur: son timbre chaud et son phrasé caressant lui permettent de proposer un personnage débordant d'une amitié presque amoureuse pour Samson et d'une grande lucidité. Il partage en outre avec Newlin une diction absolument parfaite, ce qui ne fait qu'accroitre la force théâtrale de l'oratorio. La voix de , fraîche et ductile, est du lait le plus blanc et le plus savoureux. On a dit déjà la logique de son interprétation de Dalila, et la qualité de son chant rend sa séduction d'autant plus dangereuse. démontre une versatilité étonnante : autant son Manoa est bouleversant de noblesse et de douleur intériorisée, autant il fait de Harapha une brute de la plus basse extraction, mais toujours avec une voix splendide et dans les limites d'un chant parfaitement stylé. aussi, dans rôles plus modestes du messager et du Philistin, sait caractériser ses personnages avec une grande justesse. Quant à , elle chante comme un ange, et nous fait oublier dans un feu d'artifice lumineux toutes les grandes dames qui ont chanté avant elle « Let the bright seraphim ».

Le est un ensemble baroque relativement jeune, mais parfait d'agilité et de cohésion, en symbiose avec son chef et créateur Alarcón. Les pupitres savent aussi bien concourir à une pâte orchestrale riche en couleurs que briller en solistes. Même louange pour le , d'une justesse et d'une souplesse admirables, à la hauteur des plus grandes phalanges baroques.

porte ainsi le chef-d'œuvre de Haendel dans un souffle épique et une vérité psychologique extraordinaires. Clairement, nous sommes devant un grand disque.

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