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Danser encore : sept créations solos à l’Opéra de Lyon

En guise de « Prélude à ouverture de saison » dans un monde en suspension, , nouvelle directrice du a proposé à sept chorégraphes prometteurs et reconnus de créer sept solos avec un danseur du susceptible de provoquer une rencontre d'imaginaires, magnifiée par la virtuosité de l'échange.


Le défi ici est celui du combat noble à tous égards : croire à la force du geste artistique et du mouvement dansé, comme source de régénération de l'espoir.

Sept solos (duos cachés, comme le chorégraphe exulte avec son interprète) combinent sept univers, qui nous ont fait voyager, rire et rêver éveillés, ce qui manque tant en temps confiné, chaque solo ne s'adressant pas à toutes les sensibilités, ce qui crée un kaléidoscope fort des proposition dansées : du classique d'où s'échappent des traces contemporaines ou l'inverse, jusqu'au trash le plus intense, à l'énergie brute.

Period piece de Jan Martens, avec et pour , est une vraie pièce d'époque, comme son titre l'indique, sublimant la danseuse sur les trois temps qu'elle annonce, des Trois danses d'Henryk Górecki. En tunique doré, elle s'élève, plume précise, au-dessus du tumulte de l'orchestre, de fouettés impeccables en échappées de bras anarchiques. A la croisée de deux mondes, la prouesse dansée évoque l'espoir universel et une quête du beau comme remède. Sublime sur fond orange.

Terrone de , avec et pour Marco Merenda, explore des souvenirs du Sud de l'Italie, d'où est originaire le danseur, et notamment du motif du carnaval de Tricarico, symbolisé sur scène par un totem à cornes, entouré de rubans multicolores. Ici c'est la transhumance évoquée par ce carnaval, qui est au centre de la légèreté profonde du danseur, passeur entre la grandiloquence joyeuse des mouvements sur Bellini, dont « Ma rendi pur contento » sur des interprétations, alternativement, de ou , et les rythmes effrénés de Pizzica. Le danseur s'empare de ces rythmes traditionnels avec sa fougue classique, c'est à la fois inouï, drôle et beau, transformant sa jupette bleu en caraco sur son costume blanc, et empoignant enfin le totem pour le mouvoir. L'écriture de prend un chemin de traverse surprenant, à son image d'inventeur.

Rite de passage de Bintou Dembélé, avec et pour Merel van Heeswijk, sur « Drumming » de évoque le solo de Fase d', renouvelé ici par la force de l'échange chorégraphe-danseuse. La spirale dansée invite à la rencontre des rythmes du hip hop, d'où vient Bintou Dembélé, et ceux du classique-contemporain qu'évoque Merel van Heeswijk. La spirale ici évoquerait la boucle contrainte du confinement et l'énergie de la danse, la liberté de trouver des ouvertures par la pensée libérée, que la transe encouragerait.

Komm und birg dein Antliz de , avec et pour Yan Leiva, sur des lieder de Schumann, interprétés par et , met en scène l'amitié qui porte à la joie. Comme le suggère le titre, un vers des poèmes d'Adelbert von Chamisso de cet opus 42, « viens et cache ton visage », dont la suite suggère de se reposer sur un cœur ami. La danse de Yan Leiva, enrichie de la zénitude de , s'approprie l'air et le sol à souhait comme en un monde réconcilié. L'espoir qu'ils insufflent est quasi mystique : fluidité et force, comme se faufiler et se jouer du projecteur qui tournoie et qu'apprivoise le danseur, joueur dans la lumière.

Deepstaria bienvenue de Mercedes Dassy, avec et pour Maeva Lassere, sur les injonctions trash du designer sonore du Ballet, Jean-Pierre Barbier, crée l'étonnement, tant la chorégraphe explore des zones d'inconscient érotisées, réhaussées par le costume provoquant créé par Julie Desnos. Ici c'est la rupture avec l'univers classique qui implose. Mercedes Dassy invite Maeva Lassere à explorer le rapport au corps de la danseuse, en poussant l'exhibition à l'extrême et en inversant le jeu de pouvoir genré dans la prédation physique. Elle sort de scène en rampant dans la travée. Déroutant.


Cuerpo real de , avec et pour Julia Carnicer, sur une proposition sonore de l'artiste musical Mikel R. Nieto, entraîne la danse et la performance dans l'univers de la danseuse, sur une toile de fond de rencontre au sommet, n'est jamais loin. Sans doute le solo le plus fort en terme de croisées des possibles, de rire, d'émotions, de partage avec le public, de directions et de souvenirs décousus, en explorant des lignes à l'infini. L'histoire de l'accouchement qu'elle relate aborde en creux la douleur infinie de la danse et la joie qu'elle procure. C'est du vécu universel, cette idée d'une résilience dans le combat pour la vie.

Azul de Kylie Walters, avec et pour Anna Romanova, sur deux titres-clés de l'album éponyme du groupe de rock américain Sonic Youth, est un hymne à la jeunesse, et à sa déclaration de mouvement électrique, comme la guitare que tient Anna Romanova. Le bleu azur est à l'honneur de ce solo électrisant, bleu peint sur le corps même de la danseuse. Fumée en nuages transformée ne sont pas sans rappeler que des ciels peu cléments nous menacent, mais que la création et le spectacle sont encore là.

Combattre avec les moyens du bord et applaudir à tout rompre le spectacle vivant à son retour, quelles que soient les inégalités inhérentes à tout projet ambitieux, serait une des réponses aux grandes interrogations que suscite une pandémie. L'engagement, comme le prouve chacun de ces chorégraphes, en est une autre. Restons cependant vigilant pour la santé de tous.

Crédits photographiques : Terrone (photo 1) ; Cuerpo Real (photo 2) © Charlène Bergeat 

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