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La musique pour piano de Thomas Adès, entre mystère et surnaturel

, accompagné par , interprète les pages pour piano de ce dernier, nous dévoilant leur complexité et originalité.

Dans cet album In seven days, Adès apparaît dans trois rôles : de compositeur, pianiste et chef d'orchestre. À son tour, Gerstein, son collaborateur depuis 2012, tient la partie de soliste dans le concerto pour piano et donne l'exécution des œuvres pour piano seul et pour deux pianos. C'est de cette coopération entre les artistes qu'est née la Berceuse basée sur un extrait de L'Ange exterminateur, plus précisément sur la scène dans laquelle les deux amants, Eduardo et Beatriz, entrent dans une armoire pour se tuer. Les harmonies ne sont pas tonales, mais évoluent et se résolvent de façon qui assure la cohérence à cette partition. L'interprétation de Gerstein permet à l'auditeur d'avoir une vue plongeante sur la séance tragique : les accents et les suspensions se déploient douloureusement, évoquant le tourment omniprésent au travers de cette lecture aussi méditative qu'agitée.

Concernant les Trois Mazurkas composées pour piano en 2010 pour le bicentenaire de la naissance de Chopin et créées par Emanuel Ax, Gerstein oscille entre clarté projetée par les aigus de son piano et l'inquiétude provoquée par les harmonies, favorisant la richesse des ambiances et la variété des nuances.

Pour la Paraphrase de concert sur « Powder Her Face » pour deux pianos, il s'agit d'un élargissement de la paraphrase déjà existante pour piano seul. Cette nouvelle version a permis à Adès de mettre en valeur le jeu de résonances entre les deux instruments. Si l'un des pianos joue des notes courtes et percussives, l'autre les entoure d'un halo brumeux. Tantôt séduisante par l'élégance des phrasés, tantôt empreinte de virtuosité, cette exécution « raboteuse » combine des sons secs et humides, visant à dépeindre des scènes grotesques d' « une duchesse d'un certain âge au crépuscule du vingtième siècle, quand l'influence de l'aristocratie britannique touche à sa fin », selon le résumé du compositeur.

L'album se clôt sur In Seven Days pour piano et orchestre, une œuvre sur la naissance de l'univers, élaborée en 2008, initialement pour une installation vidéo de Tal Rosner. Si ses sept mouvements joués attaca renvoient par leur nombre à l'histoire biblique de la création du monde par Dieu, leurs titres respectifs ne sont pourtant pas conformes à la chronologie des actions décrites dans le livre de la Genèse. Chez Adès, nous avons par exemple un mouvement intitulé Étoiles – Soleil – Lune, tandis que nous ne trouvons pas de morceau dévolu à la création de l'homme. Il s'agit donc d'une vision subjective du compositeur, narrative et suggestive à la fois, quoique – au plan de sa structure – un brin désordonnée. Serait-ce intentionné de la part d'Adès, sachant que c'est le « chaos » même qui fait partie du titre du premier mouvement de cette œuvre ? Gerstein explique : « Tom a une manière très évocatrice de créer des parallélismes métaphoriques. Ainsi, les arbres poussent, le soleil et les étoiles brillent. » La lecture proposée par Gerstein et Adès met l'accent sur la netteté des textures comme sur la continuité d'un discours qui, aussi abstrait soit-il, paraît infini, exactement comme le cosmos. Les musiciens naviguent entre diverses atmosphères, passant du mystère au fantasmagorique, de l'obscurité à la lumière, de l'ascèse à l'émotion… Les harmonies d'Adès manquent de douceur, c'est sûr, mais de l'autre côté, elles fascinent autant par leur caractère vierge, brut, primaire, voire atavique. Par moments, le piano de Gerstein s'y fond, s'y adapte, alors que d'autres fois, il semble commenter les événements racontés, tel un Dieu fier de son ouvrage.

Voici un disque qui devrait régaler les fans de la musique de .

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