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Hervé Niquet donne une version décantée de « Rédemption » de César Franck

Le label « Musique en Wallonie » propose une nouvelle version de Rédemption de , gravée en terre liégeoise, sous la direction attentive et impliquée d'. Un ajout important à la discographie de l'œuvre qui n'avait plus connu dans sa version intégrale les honneurs du micro depuis vingt-cinq ans.

Rédemption, « poème-symphonie » est une œuvre charnière et hybride dans la production franckiste, entre fantaisie genre « opéra » et oratorio symphonique. Si le compositeur se souvient de divers essais de jeunesse, il met ici au point, sous-tendu par un intense travail motivique, les principes cycliques qui nourriront les grandes fresques chambristes, organistiques ou symphoniques de l'ultime maturité, avec ces deux thèmes principaux, et leurs avatars, très manichéens dans leur opposition : celle de l'humanité souffrante et sauvage « sauvée » par la promesse de la Rédemption et la venue (ou le retour) du Christ, jadis comme aujourd'hui, comme le titre chacune des parties de l'ouvrage.

La partition, composée rapidement entre juin 1872 et le début 1873, sur un texte assez médiocre d'Édouard Blau, sorte de mélange entre symbolisme et contrition saint-sulpicienne, historiquement daté après la chute du Second Empire et après les combats civils violents entre Versaillais et Communards, fut révisée et considérablement étendue douze ans plus tard, notamment par l'ajout du célèbre intermède symphonique, souvent donné ou gravé séparément, en guise de digest musical et narratif. Elle ne connut qu'un succès d'estime, et fut longtemps éclipsée par la réputation des contemporaines « Béatitudes ». Rédemption, plus « facile à monter » (un seul soliste du chant, chœur plus modeste, longueur moindre de la partition) connaît aujourd'hui une juste réhabilitation, du moins au disque. La performance très stylée de captée en direct (1976) par la radio néerlandaise, un peu oblitérée par une Gé Neutel en petite forme vocale, vient juste d'être rééditée par Brilliant Classics. On se souvient aussi de la version archi-intégrale de (Warner-EMI, 1994) malgré un Orfeón Donostiarra peu concerné, où brillait de mille feux au timbre suave et opératique, et où étaient réhabilités les passages du texte omis par Franck (et oublié par la nouvelle version) confiés au récitant .

L'ouvrage a été plus récemment plusieurs fois présenté en concert à Liège, notamment sous la direction de Pascal Rophé, mais c'est au grand re découvreur de fresques françaises injustement oubliées, du baroque aux derniers feux du romantisme, , que Musique en Wallonie a fait appel pour en graver une nouvelle version. Par sa direction vive et emportée, il dépoussière considérablement la partition et la débarrasse presque de toute ampoulure cérémonieuse par des tempi très (voire trop) vifs. À ce rythme, les passages démoniaques (n° 2 et 7) évoquant une humanité en perdition sont mieux venus que l'angélisme un peu forcé des chœurs féminins (n° 3 et 8). L'intermède symphonique et surtout le grand air de l'archange (n° 9) « Le flot se lève » nous semblent quelque peu expédiés prosaïquement et le chœur général final ne peut échapper à un certain pompiérisme, malgré la bonne foi et l'engagement de toutes les forces en présence.

Il est vrai que tout le travail d'articulation des phrasés de l' est quelque peu noyé par une prise de son lointaine et réverbérée, privilégiant par trop les chœurs, faussant les perspectives et gommant la dynamique d'ensemble. Les pupitres masculins du Vlaams Radiokoor font montre d'une vaillance héroïque à toute épreuve, mais les voix de femmes nous semblent parfois éteintes et d'une justesse moins assurée. La mezzo-soprano  laisse une impression mitigée, elle convainc par son implication dramatique et la superbe chaleur de son timbre, en revanche son vibrato nous paraît un rien large face à la conception très droite, preste et avant tout rhétorique du chef, et sa prononciation française souffre d'une projection assez pâteuse.

Au total, voici une version attachante de cette œuvre assez rare au disque : à défaut d'être totalement convaincante, elle offre une nouvelle optique, plus décantée et dramatique d'une œuvre importante dans le paysage musical français « fin-de-siècle », bien que datée par son livret et par son optimisme presque béat face au « Rachat » de l'Humanité et de ses vicissitudes par les vertus de la seule Foi.

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