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Adrien La Marca : l’alto a l’étoffe des héros

, artiste-révélation aux victoires de la Musique 2014, s'était déjà fait remarquer par un premier disque dans un somptueux programme anglais chambriste bâti autour de la Sonate pour alto et piano de Rebecca Clarke. Pour le même éditeur La Dolce Volta, il nous revient pour un album concertant conceptuel Heroes – titré tel le deuxième album de la trilogie « berlinoise » de… David Bowie : un parcours concertant entre influences scéniques et cinématographiques, entre confrontation et communion avec l'orchestre.

a ponctué en beauté sa résidence artistique lors de la saison 2018-2019 auprès de l'Orchestre royal philharmonique de Liège par cet enregistrement proposant d'entrée de jeu une version de référence du désormais classique concerto de (1929, ici joué dans sa révision avec orchestre plus réduit de 1961). Dès l'énoncé du premier thème, nimbé d'une ambiance orchestrale incertaine et grisâtre, on est frappé par la richesse timbrique rutilante de l'instrument – signé Nicolas Bergonzi – mis en valeur par une technique superlative. Notre soliste y déploie un hédonisme sonore pulpeux et lustral de tous les instants, virevoltant au fil des diverses sections très contrastées des mouvements extrêmes. Mais pour autant il n'oublie pas l'aspect purement virtuose, motorique, roboratif du vivo e molto preciso, sorte de capricieux scherzo central. Si on y ajoute la totale connivence d'un subjugué à la tête de la phalange mosane impliquée, nous détenons ici la version idéale de ce chef-d'œuvre au sein d'une discographie particulièrement relevée, tenant la dragée haute aux réussites signées James Ehnes avec Edward Gardner, ou Nobuko Imai avec Jan Latham-Koenig- deux gravures parues chez Chandos.

L'on sait que Sir se consacra sa vie durant à la musique de film. Il est dès lors intéressant de rapprocher son concerto d'une œuvre de commande passée auprès de Gwenaël Mario Grisi, resté dix-huit mois en résidence liégeoise dans le même temps qu'. Le jeune compositeur belge, à l'issue d'un très solide parcours académique en matière de composition s'est aussi souvent tourné vers la musique pour le cinéma : On the reel (« sur la bobine ») s'inspire d'un essai littéraire sur les ressorts dramatiques « classiques » de nombreux scénarii de films (dû à la scénariste australienne Linda Aronson) avec les perspectives ambiantes très suggestives que tout compositeur doit dès lors évoquer pour illustrer l'action. L'alto mène donc face à un orchestre de respectable dimension une « vie de héros » très straussienne (tendance Richard) au fil de diverses péripéties d'un parcours entre menace, affrontement, échec, tourment, velléité sentimentale, volonté de revanche, en une sorte de poème symphonique narrativement issu du script imaginaire pour un hypothétique blockbuster. La partition certes plaisante et habile mais un peu bavarde use et abuse des poncifs du genre, dans un style « néo », et avec une expression post-romantique un peu désuète et très « mittel-europa », dans le lointain souvenir d'un Korngold écrivant pour Hollywood lors de son exil américain. La partie soliste, splendide et virtuose a été pensée pour son créateur et dédicataire : Adrien La Marca en a d'ailleurs finement contribué à l'écriture et a encouragé par exemple l'extension d'une première version jugée trop brève de l'imposante cadence. Il sauve admirablement ce qui peut l'être de l'œuvre, par une envoutante maîtrise instrumentale et une grande palette de nuances expressives, bien soutenu par la direction concernée de à la tête d'une phalange mosane très en verve.

Pour ponctuer ce disque au minutage généreux, l'altiste français a choisi une suite adaptée du ballet Roméo et Juliette de . La genèse en est curieuse : Prokofiev autorisa Vadim Borisovsky, altiste membre fondateur du Quatuor Beethoven de Moscou, à choisir et à adapter pour son instrument quelques numéros célèbres de son ballet, dans une version avec simple accompagnement de piano. Pour le concert et le présent enregistrement, c'est le chef d'orchestre belge Jean-Pierre Haeck qui a réorchestré l'ensemble, d'ailleurs sans trop se souvenir de l'original, histoire de sertir le soliste-héros, omniprésent, d'un écrin musical respectueux de l'ambitus dynamique de l'instrument. Le résultat s'avère à-demi convaincant. Si la scène du balcon, ou la mort de Juliette permettent de mettre en valeur le legato presque onirique du soliste, le portrait de Juliette enfant semble handicapé par le manque de vélocité des traits confinant au statisme, et la célébrissime danse des chevaliers par sa transposition tonale, échappe à toute inéluctable cruauté. En dehors de l'enrichissement du répertoire de l'alto concertant, cette adaptation, simple « curiosité », aussi bien défendue soit-elle, nous semble assez dispensable.

L'on comprend l'unité narrative qu'a voulu au fil des trois partitions défendre le soliste, mais ce bel album, juste un peu frustrant par sa programmation, sera classé de préférence à Walton pour d'évidentes raisons d'intérêt musical et interprétatif : c'est là que la technique, la haute musicalité et la sensualité sonore d'Adrien La Marca nous ont semblé les plus éloquentes.

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