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Cyrille Dubois illumine les « Canticles » de Britten

Toujours aussi éclectique dans ses choix et toujours aussi doué, nous offre maintenant, après Liszt et Boulanger (Clef d'or ResMusica), les Canticles de . Dans une discographie dominée par des ténors anglais d'exception, le ténor français s'impose par l'intelligence et la clarté de son interprétation.

Étranges « cantiques »… Il s'agit davantage de mini-oratorios ou de cantates que de mélodies, au caractère à la fois profane et sacré. Le corpus n'est pas, en France, l'œuvre la plus connue de Britten. Elle est hétéroclite, sans grande unité, à part le chanteur destinataire, Peter Pears, et le climat homo-érotico-mystique qui s'en dégage. Les poèmes sont d'auteurs différents, sur des thèmes sans lien évident (Narcisse, la ligature d'Isaac, les rois mages…), les formations d'accompagnement ne sont pas identiques, et leur composition s'étale sur un bon quart de siècle. Ce n'est donc pas une mauvaise idée de nous les proposer dans un ordre différent que l'ordre habituel, puisqu'il permet une montée en tension progressive, culminante in fine dans le prodigieux Canticle II, Abraham and Isaac. De même, il s'avère habile d'avoir inséré entre ces cantiques des pièces instrumentales ou vocales courtes, faisant un jeu de reflets kaléidoscopique entre ces Canticles, ce jeu mettant en valeur à la fois la singularité de chacun et l'unité de l'ensemble. C'est donc déjà en soi un programme sensible et très abouti.

Que peut-on dire de que nous ne sachions pas ? Ah oui : il chante dans un anglais aussi admirable que son français, un anglais digne de Peter Pears lui-même, nous a soufflé un angliciste distingué. Sinon, comme toujours, le timbre de sa voix est beau et malléable, les phrases sont modelées et nuancées à merveille, ce qui exalte la beauté des textes et le prisme de sens qu'on peut y trouver. Franchement viril, déterminé et malheureux dans le rôle d'Abraham, rêveur dans celui de Narcisse, amoureux dans le Canticle I (inspiré du Cantique des cantiques), il parvient toujours à distiller le sens spirituel de chaque drame ou de chaque poème et à nous le faire sentir, très au-delà de la sensualité sophistiquée des poèmes. L'acceptation qui sourd à la fin du Canticle II Still falls the rain est très émouvante. La façon dont il exprime l'amour paternel d'Abraham, et dont il le sublime – avec Isaac, excellent Bénos-Dijan – dans l'amour pour Dieu le Père est tout simplement magique. Cette fusion des deux voix d'hommes, père et fils, dans la voix de Dieu est une idée de génie. Une merveille d'écriture de Britten, certes, mais aussi une merveille de beau chant, sensible et intelligent, portée par ce grand serviteur qu'est . Nous fera-t-il un jour Les Illuminations de Rimbaud et Britten ?

Autre pilier de cet album remarquable, – qui avait déjà accompagné Cyrille Dubois dans ces œuvres à la Bastille en 2015 – porte son piano au même degré de clarté, de lyrisme et d'évidence. Saluons encore les interventions virtuoses du corniste , et de la harpiste . , baryton toujours aussi protéiforme, guide les rois mages sous leur bonne étoile, et le contre-ténor rejoint Cyrille Dubois à son niveau d'intensité dramatique et de beauté sonore.

Signalons enfin dans le livret un remarquable entretien dirigé par Stéphane Goldet, avec Cyrille Dubois et , qui parvient à nous présenter avec beaucoup de finesse, à la fois les œuvres sous leurs multiples facettes, et le projet interprétatif des artistes.

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