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Jean Guillou joue ses œuvres à la tête du grand orgue de Notre-Dame de Paris

On croyait éloigné de l'orgue de Notre-Dame de Paris, vu sa tribune toute proche de Saint-Eustache. Pour autant et à plusieurs reprises il fut invité à donner quelques rares concerts dont ce disque se fait en partie l'écho.

Depuis la fin des années 60 le label Solstice a enregistré systématiquement tout ce qui se jouait à l'orgue de Notre-Dame de Paris, d'où une immense somme de documents légendaires dont Yvette et François Carbou, directeurs de la marque, partagent régulièrement les grands moments de toutes ces années passées, jusqu'en 1984. Outre les concerts et cérémonies religieuses permettant d'entendre à ses claviers, de très nombreux organistes furent invités pour les fameux concerts du dimanche après-midi. Malgré la proximité du grand orgue de Saint-Eustache où officiait , ce dernier se produisit à plusieurs reprises aux claviers de la cathédrale. C'est ainsi que ce disque réunit quelques grands moments où le maitre joue ici ses propres œuvres. Cela est d'autant plus intéressant que certaines d'entre elles sont inédites au disque. Il est heureux de saluer égalemment pour cette production le partenariat de l'association Augure qui œuvre activement pour le rayonnement de l'art de .

Jean Guillou, et on l'avait déjà entendu lors d'un concert retransmis en direct à la radio en février 1977, fait une utilisation de cet instrument tout à fait personnelle et inouïe, ce qui avait fait dire à qu'il ne reconnaissait plus son orgue. Jean Guillou est avant tout un coloriste et ses registrations s'écartent des usages habituels liés à l'orgue symphonique avec ses mélanges de jeux bien codifiés. Tout est repensé, novateur, profondément original. Une fois cette pâte sonore établie, toujours très claire, lisible et transparente, une gageure sur un tel orgue en évitant les gros paquets sonores lourds et encombrants, le discours musical se montre féérique et éblouissant. Le CD débute avec La chapelle des abîmes composée en 1973 et captée ici en répétition un an plus tard lors de la création française. L'inspiration de cette pièce est empruntée au roman de l'écrivain Julien Gracq où ce dernier évoque, à un moment donné, un orgue endormi dans une chapelle abandonnée en pleine forêt et qu'une improvisation viendrait réveiller. L'improvisation en effet prend forme sous les doigts de Jean Guillou et devient œuvre gravée dans le marbre, portée par une espèce de rêve céleste.

Une autre pièce, Saga 1, composée au début des années 60 est extraite d'une série de six, reprenant en partie les célèbres improvisations sur les Visions cosmiques. Cette œuvre expose assez clairement le style même du compositeur, en forme de quête initiatique. Pour Le tombeau de Colbert, évocation du mausolée se trouvant à Saint-Eustache, le compositeur le décrit comme une mosaïque sonore de plus en plus dense présentée en neufs sujets thématiques. La pièce Allen est une grande fresque de presque 25 minutes puisant ses bases dans une improvisation issue elle aussi des Visions cosmiques, retravaillée pour l'écriture. L'univers sonore de Jean Guillou éblouit une nouvelle fois tout au long d'épisodes contrastés se terminant par un hymne glorieux.

La dernière pièce proposée est une improvisation captée en public le 16 mai 1976. Ce jour- là donnait deux thèmes à la pointure du langage musical de Jean Guillou. Un premier assez désinvolte et un second, dans lequel figure les quatre notes évoquant le nom de Bach et prolongées de manière cachée par le choral de la Passion selon Saint-Mathieu « Ô haupt voll blut ». Durant plus de vingt minutes, l'improvisateur va travailler ces deux thèmes par oppositions, imbrications, exaltations réciproques en une éblouissante démonstration d'un art porté à son plus haut point de maitrise et de liberté. On entend là un autre orgue que celui habituellement exposé par Pierre Cochereau. Jean Guillou dans ses œuvres, ses improvisations autant que dans les légendaires concerts de 1977 et 2016 où il fit entendre des œuvres du grand répertoire apporte la démonstration qu'un autre possible, ici lumineux jusqu'au terrifiant : une merveille !

Il faut signaler un excellent texte de présentation de Vincent Crosnier qui aidera grandement l'auditeur à mieux entrer dans cet univers fantastique. Un master soignée apporte un confort d'écoute non négligeable préservant la dynamique importante de cet orgue. Voilà une belle manière de fêter aussi 50 années d'enregistrements de FY et Solstice, cette parution prenant une importance particulière dans un contexte particulier, conjointement par la disparition récente du compositeur et par l'incendie de Notre-Dame.

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