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Les rencontres imaginaires d’Igor Levit

En observant le répertoire d' – celui-ci allant de Bach à – l'auditeur est frappé par l'imaginaire du pianiste, sa faculté de faire se « rencontrer » (d'où le titre du disque), la Phantasie baroque, le romantisme allemand et l'épure contemporaine. Un superbe cinquième album.

À l'évidence, Bach inspire l'interprète parce que l'œuvre du Cantor se prête, comme nulle autre, à la transposition dans le temps. Les dix chorals de Bach proposés dans l'arrangement de Busoni sont un terreau idéal pour le jeu d'. Il s'y révèle dansant et la joie indicible de ces chorals parfois transcrits note à note car la voix du pédalier est reportée au piano, répondent aux indications précises de Busoni qui écrit : « les parties d'accompagnement doivent, au point de vue du son, s'effacer devant le chant très accentué, et conserver une uniformité voilée ». entre sans théâtralité dans ces partitions qui ont été filtrées par la révolution lisztienne. Le toucher est sans pesanteur et les timbres magnifiques à l'instar du Nun kommn, der Heiden Heiland. La narration se libère sans effort.

Six des onze plus rares Préludes de chorals pour orgue de arrangés par Busoni ont été sélectionnés : ils composent une partie de l'œuvre testamentaire du compositeur viennois qui se souvenait alors de l'Orgelbüchlein de Bach. Ce sont, ici, les errances d'un promeneur solitaire, jouées comme des univers clos chargés de confidences. Les résonnances si bien contenues, élégantes dans un chant profond évoquent l'énergie d'un vieil homme qui a passé sa vie à attendre un amour impossible. Puissance et délicatesse fusionnent sous des doigts si souples et précis à la fois. C'est du grand piano. L'exploration se poursuit avec l'arrangement par Reger, des Vier ernste Gesänge de Brahms. Ces « Chants sérieux », autre legs ultime dédié à l'origine aux voix de basse, précède les Onze Préludes de choral. Ils caressent à nouveau le souvenir de Clara avec une ardeur presque mystique. On devine, en effet, les paroles puisées dans la Bible de Luther tant l'articulation du piano préserve l'écho des mots. Igor Levit revit l'attente douloureuse (« O Tod, wie bitter bist du ») jusqu'à la résignation et la quête d'un repos heureux. Il joue des silences, des harmonies nimbées, de l'immédiateté des sensations. C'est tellement bien réalisé !

Les accords parallèles du Nachtlied op. 138 n° 3 de reviennent au choral le plus simple, baigné de ferveur et de mélancolie. La transcription sobre mais nullement austère que Julian Becker réalisa en 2005 est une réussite. Beaucoup plus énigmatique, le Palais de Mari de suggère, avec un minimum de notes, un décor extraordinaire dont il laisse à l'auditeur, le soin de peindre les personnages. Cette pièce de 1986, la dernière du compositeur, met en vibration – pédale forte enfoncée – l'espace infime entre pénombre et clarté diaphane. Une très belle version, plus aboutie encore que celle de l'intégrale de John Tilbury (LondonHall). Un disque remarquablement bien pensé.

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