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Une Flûte enchantée féministe à Glyndebourne

La Flûte enchantée n'en finit pas de traverser les époques. Cet énième glissement temporel ambitionne la mise en lumière des versants les plus obscurs de son intrigue, notamment sa pré-supposée misogynie.

et son décorateur attitré ont refusé durant vingt ans la proposition de mettre en scène La Flûte enchantée, opéra qu'ils trouvaient sexiste et raciste. Le hasard d'une visite à l'Hôtel Sacher leur a permis de changer d'avis et d'accepter la proposition du Festival de Glyndebourne 2019 (« difficile à refuser », disent-ils encore) : en Anna Sacher, le tandem venait de trouver sa Reine de la Nuit !

Anna Sacher, belle-fille de l'inventeur d'une fameuse pâtisserie viennoise, était surtout l'épouse d'Eduard Sacher, fondateur, en 1876 à Vienne, de l'Hôtel qui porte encore son nom. Le XIXᵉ siècle finissant la priva de son mari, la contraignant, à rebours des préjugés de l'époque, à prendre seule les rênes du lieu.

Au contraire de Bergman, interloqué comme beaucoup par le Bewahret euch vor Weibertücken des Prêtres de l'Acte II, Barbe et Doucet ne taillent ni dans la musique ni dans les dialogues, nous rappelant, par exemple, juste avant Der Hölle racht, que le père de Pamina est mort après avoir délégué son pouvoir à Sarastro. Ce dernier est ici le maître-queue d'un hôtel dont la patronne fume le cigare et manifeste avec les suffragettes pour le droit de vote aux femmes. On règle donc son compte au sexisme, au racisme (Monostatos, couvert de suie, n'est que le préposé à la chaufferie de l'établissement) et même, sur le Wie stark ist nicht dein Zauberton de Tamino, à la souffrance animale.

La métaphore hôtelière est le maître-mot, filée de l'apparition du dragon (né du transport difficile d'une serpentine pile de vaisselle) jusqu'aux hommes en armes (d'impressionnants géants bricolés à base de fourneaux de cuisine). Ébloui par le travail scénographique (à la place des toiles peintes d'antan, les toiles crayonnées au fusain des livres d'enfants, où de fascinants trompe-l'œil dialoguent avec d'intrigants éléments en dur), ravi par les tours de passe-passe de six marionnettistes, le spectateur tâtonne aussi parfois dans cette nouvelle intrigue dont la légèreté des gags l'emporte sur la profondeur de la pensée. Si l'on applaudit sans réserve à la mise au four de Papageno, ainsi qu'à des épreuves amusantes (Pamina aux fourneaux – le feu – et Tamino à la vaisselle – l'eau -), ou encore à l'hilarant duo Papageno/Papagena (un quintuple accouchement à grande vitesse), que dire de ces deux finales revenant à un ordinaire bien éloigné de l'ambitieux postulat de départ.

L' sollicite constamment l'intérêt sous la direction de Ryan Wigglesworth. Mais les chanteurs, superficiellement dirigés, peinent à solliciter l'enthousiasme que leur talent à tous mériterait. Le couple-vedette fait particulièrement les frais de choix costumiers peu valorisants qui privent , juvénile Tamino, et , expressive Pamina, de la plus élémentaire fantaisie. Le Sarastro de , bien en voix même si moins majestueux que quelques augustes prédécesseurs, n'existe guère. Le Papageno de excelle bien que – c'est l'usage – condamné au surjeu. Les Dames, hyper-entreprenantes, contrastent avec les Garçons, hyper-appliqués. La Reine de la Nuit de tire assez brillamment (de sidérants suraigus achèvent son premier air) son épingle de ce nouveau jeu où elle n'apparaît que trop rarement alors qu'elle est censée en être le point de mire.

« La Flûte enchantée, grand cru ! »: annonce (en français dans le texte) le Sprecher à l'Acte II en tendant une bouteille de vin à Papageno. A défaut, ce spectacle divertissant ravira certainement les réfractaires à la récente version en date, celle de Lydia Steier pour Salzbourg (DVD C Major), plus pessimiste, mais de narration autrement tenue.

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