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Marie-Claire Alain : deux récitals d’orgue à Notre-Dame de Paris

Une nouvelle fois sortis du fonds d'archives Carbou, ces documents de concerts à l'orgue de Notre-Dame de Paris sont tout à fait exceptionnels. , lors de deux récitals, offre une merveilleuse utilisation de cet instrument monumental, au travers d'une interprétation vivante et inspirée.

La lecture du livret de ce CD est déjà passionnante. Après une introduction personnelle d'Aurélie Decourt, fille de , c'est un texte de Michel Roubinet qui met en avant l'amitié de la famille Alain avec Pierre Cochereau. Par la suite sont évoqués les différents concerts donnés par cette artiste à cette tribune prestigieuse et plus particulièrement ceux de 1974 et 1979, qui font l'objet de la présente édition.

n'aimait pas trop les enregistrements de concert, préférant le disque par son côté plus achevé, un « live » pouvant présenter éventuellement des imperfections que l'artiste voulait éviter. Pour autant, l'urgence même du récital, et qui plus est sur un orgue tel que Notre-Dame, apporte une émotion absolument palpable. La prise de son de intimement liée à l'aspect sonore de cet orgue dans les années « Cochereau » rend justice pleinement aux couleurs et aux masses sonores. De plus le récent mastering de Christophe Hérault est tout à fait remarquable.

L'album propose des extraits de deux récitals joués par Marie-Claire Alain sur les cinq qu'elle donna tout au long de sa carrière en cette cathédrale. Le récital du 13 janvier 1974 comprenait le Prélude et Fugue en Ut mineur BWV 546 de Bach. En grande spécialiste de ce répertoire, l'interprète offrait une approche sereine, d'une grande maitrise émotionnelle, se poursuivant dans la fugue en un immense crescendo. L'évocation liée à la cantate BWV 47 « Wer sich selbst erhöhet » (Quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé) est sur le grand orgue de Notre-Dame tout à fait éblouissante. Après un choral de assez peu joué mais qui évoque l'intérêt que portait l'artiste pour ce compositeur dont elle enregistra pour Erato la quasi totalité de son œuvre d'orgue, Marie-Claire Alain aborde la Suite du 2e ton pour le Magnificat de , élève de Louis Marchand. Bienheureux celui ou celle qui pourrait découvrir par une écoute en aveugle l'endroit où a été enregistré ce grand plein-jeu en 32 pieds qui ouvre cette suite. Grâce aux souhaits de Pierre Cochereau, Robert Boisseau avait pris en main l'instrument dès les années 60 et avait entre autre reconstitué cette sonorité extraordinaire, témoin de la période de l'Ancien régime. Les jeux anciens sont mis en valeur dans les différents versets : Jeux de tierce, flutes, anches… La merveilleuse Tierce en taille est ici admirablement déclamée dans un style d'une rare perfection. L'organiste s'amuse avec la basse de trompette choisie sur les fameuses chamades Boisseau, joliment intégrées dans leur environnement.

Viennent ensuite deux pièces de son frère ainé . Le Choral dorien, sur les jeux de fonds, joué dans un tempo modéré et un climat d'intériorité est une judicieuse préparation à la pièce suivante, jusqu'à cette fin irréelle à Notre-Dame, sur les ondulants du clavier de récit boite fermée et la basse de 32 au pédalier. Et voici les Litanies, cette pièce emblématique que Marie-Claire Alain jouait très régulièrement à la fin de ses récitals, comme ce jour là. Cette version est sans doute l'une des plus belles jamais entendue, par cet hommage appuyé à son frère tragiquement disparu. Une force incroyable surgit de cette interprétation. On sent l'artiste libérée et portée par une frénésie d'une rare beauté, aux limites du possible. Le cluster final sur le tutti est magique, comme cette « bourrasque irrésistible » dont parle à propos de cette œuvre…

Les extraits du deuxième récital du 1er avril 1979 présentent tout d'abord la Sonate pour orgue n° 6 de Félix Mendelssohn, basée sur le choral « Vater unser » suivi de variations, morceau de bravoure dans la tradition de Bach. L'orgue de Notre-Dame évoque ici grandement le discours romantique de l'auteur, grâce aux jeux de Cavaillé-Coll. Le concert se poursuit avec deux extraits de la Symphonie n° 9 « Gothique » op. 70 de , rappelant ainsi que la jeune Marie-Claire fut élève de Marcel Dupré, lui-même successeur de Widor à Saint-Sulpice. La grande tradition de l'orgue symphonique française est ici affirmée par le lyrisme appuyé de la musicienne dans l'Andante sostenuto, sur les flûtes harmoniques de Notre-Dame. Le programme s'achève avec des extraits de la Suite médiévale de Jean Langlais, compositeur et organiste à Sainte-Clotilde, qui fut lui aussi pour Marie-Claire Alain un professeur d'improvisation. Ces quatre mouvements révèlent une utilisation plus néo-classique de l'orgue de Notre-Dame, encore une fois instrument exubérant et coloré. Il y a dans la musique de Langlais certaines fulgurances de « marée montante », notamment dans la dernière pièce Acclamations carolingiennes, que l'interprète expose de manière bondissante comme une musique de film, héroïque et victorieuse. Au travers de toutes les pièces du disque, c'est l'art de la registration de Marie-Claire Alain qui se révèle pleinement par une utilisation subtile et personnelle des plans de l'orgue, de manière complètement différente des autres artistes entendus à cette tribune.

Après d'autres grands noms de l'orgue déjà publiés en concert à Notre-Dame chez Solstice, ces pièces en direct jouées la veille lors de la répétition générale, dans le calme de la nuit sont autant d'étoiles scintillantes offertes par cette immense artiste, dans le firmament de l'orgue français. Émouvant hommage…

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Hommage à Marie-Claire Alain

 

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