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La parole à vif de Denis Dufour

Voilà une publication qui risque de faire débat, parce que les partis pris sont radicaux et le propos parfois virulent : celui du compositeur qui répond aux questions de Vincent Isnard et expose avec engagement et passion sa pensée de créateur.

Formé à l'école de l'écoute et du son auprès d', au CNSM de Paris, et de avant de rejoindre le Groupe de Recherches musicales (GRM), n'a jamais pardonné les propos méprisants de à l'égard de la musique concrète et de la démarche expérimentale que ce dernier avait pourtant approchées dans les années 50 (ses deux Études l'attestent) avant de s'embarquer dans la grande aventure de l'. De bonne guerre, Dufour dresse un bilan plutôt sombre de l'Institut (ça commence dès la page 37 du livre d'entretiens !), avec des mots toujours implacables – dogmatisme, malhonnêteté, détestation absolue, etc. – qui font état de sa profonde déception ; il s'en explique d'ailleurs très clairement, reconnaissant pour autant, dans le chapitre « Réalités du temps réel, le GRM et l' », le soutien apporté par le fondateur de l' à la jeune génération qu'il avait à cœur de promouvoir.

Les échanges deviennent passionnants lorsque aborde le champ compositionnel. Il nous fait entrer dans son atelier, décrivant les allers-retours opérés entre le studio et l'écriture instrumentale, un domaine qu'il pratique autant que la musique de sons fixés ; sur les deux-cents opus de son catalogue, plus de la moitié lui est consacrée. Exemples à l'appui, le compositeur revient sur sa technique de composition dans l'un et l'autre domaines, pointant les croisements possibles – sa musique instrumentale s'inspire des opérations propres au studio – et les ressorts multiples qu'il a à sa disposition. Les mots-clé semblent être ceux de cohérence et d'engagement personnel : « Au minimum, la musique doit parler fortement à celui qui la compose », nous dit Dufour, dénigrant ce qu'il nomme les « musiques à explosions » qui « occupent le terrain et n'ont rien à dire ». Pour Dufour, il est question de projet humain, qui ne repose pas sur les outils utilisés mais sur la pensée et la sensibilité du créateur. Aimant le travail en équipe, il nous parle de son processus de composition à deux têtes, avec le poète Thomas Brando dont les textes écrits pour lui, comme de véritables scénarios, vont conduire le cheminement sonore.

Pédagogue recherché, Denis Dufour retrace sa carrière dans les divers conservatoires où il a contribué à faire connaître et développer la pensée schaefférienne au sein de la jeune génération qui le relaie aujourd'hui : « Je souhaite leur apprendre à conquérir leur liberté avec rigueur », lance-t-il. Il retrace très précisément les étapes de la recherche schaefférienne, depuis le Studio d'essai jusqu'à la création du GRM puis de l'INA en 1974 ; et revient sur la réflexion théorique et les concepts du maître dont il précise la nature. Face à la diversité des termes associés à la musique sur support, et débattus dans le dernier chapitre (« La démarche concrète aujourd'hui »), le compositeur propose quant à lui, et ce dès les années 80, l'appellation d'art acousmatique. (Signalons à ce titre la présence d'un glossaire à la fin du livre, l'index étant à consulter sur le site du compositeur). Membre du GRM jusqu'en 2000, Denis Dufour est également à l'origine de plusieurs structures, collectifs et formations instrumentales qui continuent d'irriguer la vie musicale et fonde en 1992 le festival Futura, une des rares manifestations d'envergure dédiées aux musiques de sons fixés.

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