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Phryné, la belle endormie de Saint-Saëns sort de son sommeil à l’Opéra de Rouen

En cette année 2021 qui célèbre le centenaire de la mort de , le , inlassable défricheur de partitions oubliées ou méconnues, conclut son festival avec cette rarissime Phryné regroupant une belle distribution vocale sous la baguette d'.

« Les gens qui voulaient me voir gai seront satisfaits » : c'est par ces mots que présente son opéra-comique Phryné, composé en 1893, secondairement augmenté des récitatifs d'André Messager en 1896. Une œuvre légère et amusante qui eut la chance de plaire et de connaitre un succès phénoménal dans les années qui suivirent sa création, avant de succomber à un long sommeil interrompu aujourd'hui par cette version de concert proposée par le Centre de musique romantique française, portée par les troupes de l'Opéra de Rouen Normandie et du Concert Spirituel conduites par . Le livret de Lucien Augé nous conte les amours tumultueuses de Phryné () et de Nicias () contrariées par l'archonte Dicéphile (). Une intrigue sans aspérités qui s'apparente à une pochade, une musique au charme délicieusement suranné, des vers quelque peu mirlitonesques participant du jeu comique, une galerie de personnages bien typés servis par de jeunes chanteurs et de superbes ensembles : autant d'atouts pour cette œuvre totalement dédiée au plaisir.

Hélas, malgré l'intérêt certain lié à la découverte de cette pièce rare, il faut bien avouer que le résultat n'est pas à la hauteur de nos espérances. Certes, la version de concert, très statique ne favorise pas l'enthousiasme et le ressort comique parait alors bien rouillé, mettant au jour un livret particulièrement inepte. Alors que reste-t-il ? Une musique haute en couleur avec une orchestration riche (vents et harpe), une direction d'orchestre au phrasé narratif, très voire trop théâtralisée au point de couvrir par instants les voix dans un équilibre précaire entre fosse et chanteurs. Et une distribution vocale assez inhomogène, largement dominée par dont on admire une fois de plus la diction, l'élégance de la ligne, le legato et les aigus filés d'une facilité vocale confondante dans « Oh, ma Phryné, c'est trop peu de t'aimer… » exaltée par une belle implication scénique. Face à lui la Phryné de , découverte dans Le Postillon de Lonjumeau d'Adolphe Adam à l'Opéra Comique il y a deux ans, déçoit quelque peu : non pas tant par sa technique vocale irréprochable et ses vocalises claires parfaitement assumées que par son timbre assez froid manquant de la sensualité indispensable au rôle. En revanche, malgré la discrétion de ses interventions, (Lampito) séduit immédiatement par la rondeur de son timbre, sa puissance et son abattage scénique. campe quant à lui un Dicéphile de belle tenue vocale, convaincant scéniquement par son ambiguïté oscillant entre autorité et ridicule. Dans les rôles secondaires (Cynapex) et (Le Héraut) ne déméritent pas, rappelant dans la veine comique le duo savoureux Bardolfo et Pistola du Falstaff de Verdi créé la même année 1893. Restent de beaux ensembles dont le trio de l'acte I : « Dicéphile est un fripon » est un modèle du genre.

Le chœur du Concert Spirituel, dont l'enthousiasme n'a d'équivalent que la qualité vocale, s'affirme comme un partenaire exemplaire dans cette œuvre méconnue de Saint-Saëns dont on peut se poser la question du bien fondé de cette exhumation tardive, en dehors d'un intérêt musicologique.

Crédit photographique : © Mirco Maggliocca

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