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Le Festival d’Ambronay entre ancien et nouveau monde

Entre étoiles confirmées et constellations naissantes, concerts attendus et inattendus, le festival d'Ambronay confirme la volonté d'ouvrir la manifestation à un plus large public.


Retour à Bach

On n'a pas toujours conscience du lien amoureux liant un artiste à son instrument. C'est un violoncelle vénitien de 1730 (de Carlo Tononi) qui a ramené à Bach (lire notre entretien) et enfanté, dans la foulée, en 2019, son enregistrement du grand œuvre chez Harmonia Mundi. Les Suites 1 à 3 sont données ce soir dans un désordre très pensé au fil d'un concert que l'artiste dit attendre depuis un an et qu'elle tient à ouvrir par la plus solaire, dit-elle, la Suite n°3 en do majeur, en baume appliqué sur l'annus horriblis que vient de vivre la Musique. Le premier coup d'archet semble révéler une double caisse de résonance : celle du violoncelle et du lieu. Intériorité extrême, jubilation dansante, volubilité digitale, naturel confondant: l'adéquation d' avec ce pilier du répertoire pour violoncelle seul est manifeste. Hélas, en pleine Gigue de la Suite n°2, la mèche de son archet se détache et la violoncelliste, visiblement rompue aux coups du sort, doit poursuivre avec un archet traditionnel. Le nouveau son est évidemment d'une tout autre nature: mais l'impromptu de cette leçon en direct profite à ceux qui se posaient encore des questions quant aux différences entre archet classique et archet baroque. Des applaudissements trop empressés cueillent l'ultime Gigue de la célèbre suite n°1 mais obtient un long silence à l'issue du bis: un extrait de la Suite n°4. Une interprétation tellement habitée, que l'on regrette que le festival n'a pas songé à une intégrale.


Une compositrice de plus

(quel chemin depuis sa Platée alsacienne !) reconstitue, pour son flambant ensemble , Les Vêpres de la Vierge de . Bénédictine abbesse du couvent de Sainte-Radegonde à Milan, elle y chanta, y composa, à rebours de la volonté de certain archevêque alors en exercice. Il est toujours excitant d'assister à la résurrection d'une œuvre oubliée, à Ambronay tout particulièrement où l'on s'attend toujours à quelque nouveau Diluvio Universale. Malgré la conviction d', l'œuvre, pour lumineuse et puissamment polychorale qu'elle soit, n'atteint pas le génie des contemporains Monteverdi et Strozzi. Les flûtes rendent un hommage orphique à la Favola in musica du père de l'opéra ; une autre bénédictine compositrice (Caterina Assandra) est appelée, via un Duo seraphim pour 3 voix d'hommes, à la rescousse d'une œuvre assez brève (1H15). Il faut attendre l'avant-dernière pièce de ces Vêpres pour découvrir le bijou que l'on se repassera à l'envi : le motet O quam bonus es pour soprano et ténor. La distribution réunie à Ambronay diffère sensiblement de celle annoncée sur le programme, comme de celle de l'enregistrement paru en 2019. Les hommes, superbes (, Nicolas Brooymans, Olivier Coiffet), se montrent plus convaincants que les femmes : Angelica Monja Torrez, remplaçant Anthea Pichanick, apparaît encore bien sage sur Concinant linguae. Quelques stridences dans l'aigu déparent le duo de sopranos. Avec sa harpe opportunément placée au premier plan, l'orchestre de solistes, soutenu par le positif de Violaine Cochard, est de première grandeur.


Lumière vénitienne

« Bienvenue à Venise ! » convie, au seuil de l'Abbatiale, le bateleur chargé de mettre en condition le spectateur. C'est effectivement tout un pan lumineux des XVIᵉ et XVIIᵉ vénitiens que ressuscitent quatre violons prompts à la spatialisation, le basson, la basse de violon (ou violoncino, ou violoncelle) de l'Ensemble Clematis, dirigés du clavecin et de l'orgue par Brice Sailly. Cavalli et Gabrieli, mais aussi des compositeurs moins connus : Uccellini, Marini, Rossi, Castello, Merula, Marini, Da Viadaria, Legrenzi. Un programme courageux dont l'indéfectible bonne humeur s'abreuve heureusement à la conclusion mélancolique d'une Canzon a tre de Cavalli, rebondit sur le Ballo detto il Policio de Merula dont les quatre violons se répondent deux à deux avec une grâce infinie, et aboutit enfin à la mélancolie bienvenue du Passacaglio à 4 de Marini, cœur émotionnel d'un concert qui aurait pu se conclure par la vigoureuse Canzon francese in riposta de Lodovico da Viadana, la Sonate prima de Legrenzi s'ensuivant tenant inexplicablement à revenir à une légèreté d'inspiration bien impersonnelle.


Anciens et modernes

Ceux et celles qui n'auront pas voulu quitter l'Abbatiale pour la Salle polyvalente où se créait Qui-vive! se seront privés d'une passionnante occasion d'ouvrir leurs oreilles au mélange des genres. Le nouveau pari de , compositeur attaché au Théâtre Durance et directeur artistique de la Compagnie Rassegna, crée le trouble en mêlant le baroque à l'électrification et aux platines des boîtes de nuit branchées. Le dispositif, sonorisé, est celui d'un concert rock : cônes de lumière, fumigènes, et même stroboscope pour une trop brève scène dansée. L'instrumentarium est des plus inhabituels : guitares (électriques ou non), viole de gambe, flûtes à bec, percussions et …. platines de Disc Jockey sur laquelle la bien-nommée L. Atipik pratique le plus joyeux des « platinages artistiques » dans un programme aux invités de luxe : Boësset, Landi, Frescobaldi, Monteverdi, Henry de Bailly, Barbara Strozzi, Zanetti, Purcell, Moulinié, Merula, des musiques traditionnelles et des compositions originales de ! Même si les scratchs du DJ n'en finissent pas d'interroger, on se laisse prendre par la force de conviction de chacun des intervenants, notamment des voix féminines à la personnalité bien distincte. Et même si le traitement du sublime Che si puo fare de Barbara Strozzi reste en deçà de ce qui en aurait pu être fait, l'on ressort des 75 minutes et des trois actes du triptyque de Qui-vive! (Théâtre de l'Amour, de la Folie, de la Mort) avec des pépites dans les oreilles : A la fin cette Bergère emballe avec ses lignes vocales échevelées déroulant la mélodie XVIIᵉ d'Antoine Boësset au-dessus du charivari XXIᵉ ; la guitare électrique fait de la basse obstinée du Zefiro torna monteverdien un tube pour tous les temps ; le sommet de l'entreprise étant un Lamento de Didon enchaîné deux fois dans deux styles aux antipodes.


Bach et Arts Florissants : jeunesse pour tous

Première étape du parcours Bach proposé par aux Arts Florissants : la jeunesse du compositeur. Un Bach, dit-il espièglement, alors bien éloigné du portrait officiel, perruqué et « enveloppé ». Moment où le futur Cantor de Leipzig pressentait qu'il allait devenir le compositeur qu'il allait être, et où il composa, pour les effectifs réduits qui étaient alors à sa disposition, trois cantates restées parmi les plus belles de sa longue carrière à venir (BWV 4, 106, 150), dans lesquelles, pédagogique et vachard, , afin de bien étayer sa démonstration, intercale Christ lag in Todesbanden version Kuhnau, le Cantor de Leipzig d'alors. Les Arts Florissants mettent bien sûr le même soin à « exécuter » le Kuhnau que les Bach de ce programme remarquable. Deux par voix, les huit chanteurs ne sont qu'excellence. S'en détachent quatre solistes particulièrement émouvants : soprano à la ligne toute de bonté lumineuse, ténor sobrement stylé, Edward Grint basse tout en confidence, Maarten Engeltjes, contre-ténor à l'émission généreuse et vibrante. L'orchestre virtuose (les violons sur le n°4 de Christ lag in Todesbanden) adapte son effectif (quatorze instrumentistes) d'une pièce à l'autre. La direction exemplaire de  finit d'entériner ce qui restera comme la grande soirée de ce troisième volet du festival.


dans l'écrin de

La « papesse de la pop baroque » revient à Ambronay avec Miracolo d'amor. Après Philippe Jarrousky en 2017, c'est au tour du contre-ténor de briller dans l'écrin de l'Arpeggiata. Vêtue d'une ample robe aux allures de chasuble, , assistée de six complices, déroule les basses obstinées de temps évanouis, qu'elle traque disque après disque, et qui, arrangées par elle-même, l'assurent d'un succès de popstar. Malgré l'acoustique exceptionnelle du lieu, se distingue assez peu l'envoûtant théorbe qu'elle a en mains. Voire, ce qu'on perçoit n'est pas sans engendrer quelque monotonie. L'intérêt, plutôt qu'une improvisation longuette un peu convenue du percussionniste plutôt qu'une tentative avortée de requérir les mains du public sur le Canario de Lorenzo Allegri, se polarise sur (lire notre entretien). Le programme, qui mène de Venise à Naples, confronte le contre-ténor à des pièces mettant en valeur le legato d'un timbre aux aigus filés, la gestion maîtrisée d' éclats appuyés par une gestique étudiée (la fin de Bella Ninfa !), le charme adolescent d'une ébauche d'attitudes (claquements de doigts, déhanchements) une présence assez touchante, que vient juste interroger une émission à peine voilée récurrente dans les passages en force d'un médium plus indiscernable. Un concert au succès écrit d'avance, qui voit le cornet à bouquin de Doron David Sherwin recueillir autant d'acclamations que la voix d'ange de Valer Sabadus.


Une délicieuse Boîte à joujoux

On s'en voudrait de ne pas mentionner le « spectacle famille » donné par la Compagnie None Quartet autour du ballet pour enfants avec piano que Claude Debussy dédia en à sa fille Claude-Emma communément connue sous le sobriquet de Chouchou : La Boîte à joujoux. Un habile arrangement musical de Philippe Leloup pour quatre remarquables clarinettistes (clarinette piccolo, clarinette, cor de basset, clarinette basse). Des moyens très simples et joliment poétiques. Un jeu d'orgues sur un dernier quartier de Lune, quatre guirlandes d'ampoules reliant entre ciel et terre les chaises comme en apesanteur des musiciens. Et une comédienne épatante (Yoanna Marilleaud) juchée sur une immense robe-castelet à panier, dont elle fait sortir tout un bestiaire marionnettisé (ainsi que le rêvait le compositeur) et même des intempéries. Un spectacle de quarante minutes qui ne prend pas les enfants pour des enfants.

Le festival annonce enfin, sous le parrainage de Geoffroy Jourdain, un Festival Eeemerging +, ultime session de l'édition 2021, entièrement dévolue aux jeunes talents de la musique ancienne. Un nouveau monde.

Crédits photographiques: © Bertrand Pichène

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