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À Bruxelles, Musica Gloria révélation baroque des Bozar Next generation

Cette ouverture de saison voit Bozar Bruxelles proposer à nouveau ses concerts du dimanche matin, »Bozar Next génération ». En ce début octobre, place à la musique baroque, avec un passionnant programme basé autour et à l'entour de Johann Gottfried Fasch par Musica Gloria, l'ensemble supervisé par le surdoué claveciniste et flûtiste .


Depuis un quart de siècle, la section Musiques de Bozar Bruxelles fait chaque dimanche la part belle aux talents émergents : une programmation qui a permis les débuts sur la scène bruxelloise entre autres de Renaud Capuçon, Alexander Melnikov, Sophie Karthäuser, Jorg Widman et bien d'autres ! Les jeunes artistes belges ne sont pas oubliés, issus des trois entités fédérées du pays, comme, par exemple et par tradition, le ou la lauréat(e) « espoir » du Prix de l'union de la presse musicale belge, décerné dans le cadre des prestigieux Prix Caecilia. Après la violoniste Sylvia Huang et la soprano Emma Posman, c'est à , multi-instrumentiste spécialisé dans la musique renaissante et baroque que cette récompense a été attribuée en 2020. Depuis, il a remporté le Sonderpreis der Jury du Concours international Telemann de Magdebourg. Il collabore d'ores et déjà avec diverses phalanges belges ou d'Europe du nord (la Petite bande, B'rock, ….).

Avec un magnanime sentiment de collégialité et de communion musicales, le musicien claviériste passionné tant par le répertoire soliste ou concertant que par la réalisation de la basse continue depuis son clavecin, et superbe et accompli flûtiste, a opté pour une prestation mettant en valeur « son » groupe instrumental Musica Gloria qu'il a fondé à l'âge de douze ans (!) et qu'il anime ou co-dirige avec la hautboïste – et occasionnellement flûtiste à bec – . Ce groupe a évidemment évolué au fil des ans venant d'un statut de musiciens débutants, amateurs, puis jeunes praticiens, vers celui d'un ensemble professionnel de haut niveau. Mais à l'évidence, au vu de la jovialité , des sourires complices échangés, de la fraîcheur native des interprétations, c'est avant tout l'amitié franche et le plaisir de faire de la musique ensemble qui l'emportent, dans une ambiance de travail et avec une exigence d'excellence et de polyvalence. Outre un formidable quatuor à cordes, mentionnons aussi Ganaël Schneider, qui assure le continuo au théorbe ou au.clavecin, quand délaisse celui-ci pour son traverso.

Le présent concert fait la part belle à l'œuvre de Johann Friedrich Fasch, nommé en 1722 kapellmeister de la cour d'Anhalt-Zerbst, cité sise au nord de Leipzig, et où il resta jusqu'à sa mort. Si pratiquement toute son œuvre religieuse a disparu – dont douze cycles présumés de cantates – son œuvre instrumentale a presque intégralement survécu, abondante et variée, destinée tant aux formations de chambre les plus intimes qu'aux fastes de l'orchestre, voire du double orchestre, comme nous le rappelait récemment Alexis Kossenko à la tête de ses forces tourquennoises.

La qualité scripturale y est constante ; l'évolution stylistique au fil des ans est particulièrement remarquable, depuis les affekts baroques des trois extraits retenus (sur huit mouvements) de la Suite en sol mineur jusqu'à l'émergence d'une nouvelle sensibilité et de nouvelles recherches combinatoires dans les années 1740-50 : le Quatuor pour cordes et continuo retenu ici traite à égalité les trois voix supérieures de violons et d'alto et émancipe timidement le violoncelle de son seul rôle de continuiste, tandis que le Quatuor pour flûte et deux violettas (parties confiées ici aux violons cantonnés dans le grave de leur tessiture) et basse, et plus encore le Double concerto pour traverso, hautbois et cordes, relèvent d'une nouvelle étoffe proche déjà de l'Empfindsamkeit, très neuve par sa totale rupture expressive.

Pour faire bonne mesure, ce dimanche, est convié pour la courte, italianisante et sublime Sinfonia de la cantate BWV 21, et surtout pour son pathétique et célébrissime Concerto pour clavecin en fa mineur BWV 1056, dont Telemann semble reprendre l'idée séminale du largo au fil du mouvement initial (un de ses meilleurs moments) de son Concerto en sol majeur, plus souvent donné à la flûte que comme ce matin au hautbois.

Musica Gloria se montre pleinement convaincant tout au long de ce programme et offre des interprétations non seulement musicologiquement informées, mais avant tout très vivantes et spontanées, sans aucune sécheresse ou raideur. Les cordes demeurent veloutées, sans agressive acidité, même si çà et là, on pourrait souhaiter un peu plus de tranchant dans les rythmes et les attaques – notamment au fil des extraits de l'ouverture/suite en ré mineur de Fasch, donnée ici dans une version chambriste – aux antipodes de la gravure opulente livrée sur disque par Il Fondamento de Paul Dombrecht. Beniamino Paganini, en parfait maître d'œuvre, s'avère aussi convaincant au clavecin au fil d'un Concerto en fa mineur de Bach très pudique et finement ornementé, et plus encore au traverso, disert et poétique, dans les deux œuvres de Fasch. Mais c'est son autorité tranquille au continuo et comme « manager » du groupe qui, à son jeune âge, impressionne le plus. Enfin, saluons le hautbois finement aérien de , d'un souffle souverain et d'une preste agilité, (le Telemann !) mais aussi bouleversant au fil de l'intemporelle Sinfonia de la cantate BWV 21 du cantor de Saint-Thomas.

En guise de bis, Musica Gloria propose le célèbre final du Concerto en mi mineur pour traverso et flûte à bec de Telemann, donné avec la rusticité et l'humour goguenard requis. A l'évidence, au terme de cette prestation aussi confondante de naturel que d'à-propos, gageons que Beniamino Paganini (avec son ensemble) se forgera très vite un prénom au panthéon de la nouvelle génération baroque.

Crédits photographiques : Beniamino Paganini © Davy Coghe

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