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Mazeppa en concert à Baden-Baden : la magie Kirill Petrenko

Bien qu'en version de concert, Mazepppa est un spectacle total par la grâce d'une direction au prodigieux dramatisme, d'un orchestre au sommet et d'une distribution au diapason.

Programmé initialement pour le Festival de Pâques 2021 dans une mise de scène de Dmitri Tcherniakov, Mazeppa de Tchaïkovski a fait les frais de la pandémie de coronavirus. Reporté en mai en version de concert puis annulé à nouveau, il a enfin pu être donné pour deux soirées, bénéficiant du déplacement à Baden-Baden de l' et de son chef pour le Festival d'Automne.

« Une œuvre bouleversante, dont l'intrigue est plus que jamais d'actualité ». Telle est l'opinion de sur le septième opéra de Tchaïkovski qu'il défend avec conviction et a déjà dirigé, notamment à Lyon à deux reprises en 2006 et 2010. Après six années fastueuses passées à la direction du Bayerisches Staatsorchester, l'orchestre en résidence du Bayerische Staatsoper (l'Opéra de Munich), démontre à nouveau quel fantastique chef d'opéra il est. Avec une attention constante, un soutien permanent aux chanteurs et au chœur (il donne tous les départs et accompagne toutes les paroles), un corps toujours en mouvement, dansant, sautillant, s'accroupissant, mais une battue toujours précise et bien marquée, il insuffle une énergie, une vivacité, un dramatisme proprement fabuleux dans des tempos globalement rapides comme il les aime.

Il faut dire qu'avec l', Kirill Petrenko dirige une extraordinaire « machine à jouer ». Le fondu des cordes, la suavité des bois, l'engagement des cuivres, la précision des percussions, tout dans cet orchestre est à un niveau difficilement surpassable. Quant à la palette dynamique, elle demeure impressionnante. L'ouverture explosive, le Gopak du premier acte ou la « Bataille de Poltava » qui ouvre le troisième lui permettent de faire valoir toutes ces qualités. Mais, pour l'avoir entendu à plusieurs reprises dans l'opéra sous la baguette de Simon Rattle, l'orchestre n'était qu'un accompagnateur encore imparfait, jouant sa partie avec un son sublime mais montrant peu de réactivité aux chanteurs et à la scène. Grâce à Kirill Petrenko, tout est désormais différent…

Intégralement russophone, la distribution se montre à la hauteur d'un tel niveau orchestral. Dans le rôle-titre de Mazeppa, a toute l'autorité, le mordant, la puissance nécessaires. La splendeur du timbre, la perfection du legato, la longueur du souffle lui permettent d'offrir une aria (Acte II, scène 2) magnifique sur l'accompagnement murmuré et d'une extrême délicatesse de l'orchestre. Face à lui, en Kotchoubeï incarne la qualité de l'école de basses russes (bien qu'il soit qualifié de baryton dans le programme). Il culmine naturellement dans sa grande scène du début de l'Acte II où, là encore, la rondeur du timbre, le souffle, le souci des nuances, la projection assurent une interprétation intense et désespérée. Dans le rôle d'Andreï, amoureux éconduit de la soprano Maria, le ténor fait preuve d'une belle ardeur. Le timbre n'est pas des plus séduisants mais l'aigu est sûr et vigoureux. Un peu monochrome et constamment forte aux deux premiers actes dans sa phase héroïque, il sait cependant alléger et trouver les nuances adéquates à l'heure de sa mort dans les bras de Maria.

Cette Maria que se disputent Mazeppa et Andreï, c'est qui l'incarne. Durant les deux premiers actes, elle paraît un peu en retrait, moins puissante et plus grêle de timbre que ses partenaires malgré un registre grave qui s'est bien étoffé, avec un aigu voilé manquant de lumière, tendant même à minauder en jouant les coquettes face à Mazeppa à l'Acte II. Elle explose à l'Acte III dans son duo avec Andreï mourant, trouve enfin l'émotion dans des aigus filés ou lancés à pleine voix et dans une berceuse finale habitée. Le tapis sonore amoureux et d'une ineffable douceur déployé à ce moment par l'orchestre et Kirill Petrenko y contribuent magistralement. Sa mère Lioubov trouve en une interprète intense, au timbre de mezzo-soprano envoûtant, d'une puissance de projection respectable et d'un grand dramatisme avec ses graves poitrinés. Les seconds rôles sont luxueux, qu'il s'agisse du timbre splendide de en Orlik, de l'engagement d' en Iskra ou du parfait numéro comique d' dans le rôle du Cosaque ivre, bref moment de suspension au cœur de la tragédie. Enfin, le Rundfunkchor de Berlin impressionne par sa vigueur et sa précision rythmique, sans jamais se désunir en dépit des tempos vifs imposés par le chef, et assure des finals d'actes grandioses.

Crédit photographique :  (Maria) /  (Maria), Kirill Petrenko (de dos), (Mazeppa) © Monika Rittershaus

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