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Deux Suisses et un piano à Paris

A quelques jours d'intervalles, deux chorégraphes Suisses se sont arrêtés dans le 11ème arrondissement de Paris. Au Théâtre de la Bastille, propose avec Diverti Menti une fantaisie autour du Divertimento K.136 de Mozart pour piano, tuba et guitare électrique. préfère le groove dans My soul is my visa, invité par Les Inaccoutumés à la Ménagerie de Verre. Deux visions musicales et iconoclastes de la danse.

Le Diverti Menti distordu de

Invitée pour la première fois au Théâtre de la Bastille, la chorégraphe suisse présente avec Diverti Menti un spectacle qui allie danse et musique, en s'appuyant sur les divertimenti composés par Mozart entre 1772 et 1780. Sur une réorchestration originale du Divertimento K.136, elle réunit sur scène un quatuor composé de trois musiciens et d'une danseuse.

Yeux clos, vêtue d'un pantalon noir et d'un fin pull sans manches, la danseuse évolue à tâtons dans l'étroit espace libéré entre le piano à queue, la guitare électrique et le tuba qui composent l' de Genève. Est-ce ainsi que le corps répond le mieux aux vibrations de la musique ? Un petit amplificateur tire la guitare du côté de la dissonance, tandis que les sons ronds et chaud du piano et du tuba servent de caisse de résonance. Le choix de la guitare amplifiée pour une transposition pleine d'altérations du thème principal du Divertimento K.136 de Mozart est pour le moins étonnant. Le son métallique, qui rappelle par certains aspects le clavecin, sonne désagréablement à l'oreille. Imperturbable, la danseuse continue ses virevoltes sur les variations disharmoniques de la musique. Sa chorégraphie est faite d'élans et d'énergiques lancés de bras vers l'arrière ou sur le côté. L'ensemble est très perturbant, même si on reconnaît de très loin en très loin les accents de Mozart.

Par moment, quand le piano ou le tuba prennent le dessus, ralentissant la cadence, la danseuse épouse comme en rêve ce rythme ralenti. La déstructuration devient soudain plus radicale lorsque la partition est disséquée accord par accord, avant de revenir au thème dans une transposition plus fidèle à l'original. Le jeu libère ainsi la danseuse, qui demeure les yeux clos. À l'inverse d'une qui conserve toujours la partition originale, la proposition de Maud Blandel est iconoclaste. Cependant, on retrouve dans les deux démarches des élans similaires et une même combinaison entre austérité et fantaisie. , collaborateur de longue date de la première, a d'ailleurs épaulé Maud Blandel pour l'analyse musicale.


Le groove funky de

Créateur iconoclaste lui aussi, revient à intervalles réguliers à Paris avec ses spectacles inclassables et totalement loufoques. C'est de nouveau le cas dans le cadre du festival Les Inaccoutumés avec My Soul is my visa qui réunit cinq interprètes autour d'un piano à queue. L'ensemble ressemble davantage à une performance qu'à un spectacle, tant la dimension plastique domine. À commencer par une scénographie composée d'une épaisse moquette grège et d'une coquille d'œuf géant dont sort l'une des danseuses. Bougeant en silence au rythme du groove, les interprètes apparaissent comme des chevaliers d'opérette. Leurs costumes composites semblent tout droit sortis des greniers, dont on extirpe tissus et vieux foulards dans lesquels se draper.

Au piano, les cinq se relaient pour jouer de la musique de piano-bar, des standards ou du , aucun n'étant pianiste professionnel. Pendant ce temps, les autres continuent à imprimer à leur corps le rythme saccadé de la soul. Le ridicule, l'étrangeté et la soudaineté parfois de leurs mouvements, leur sourire et leur regard complice et ahuri rend la chose encore plus drôle. Détachant les parties amovibles de leurs habits de lumière, les « fabulous four » (ou five, c'est selon) s'élancent dans un long sur-place chaloupé. Comme chaque fois, le casting est dément, mêlant pros et amateurs, ne se prenant jamais au sérieux, toujours au bord du fou rire dans leur combinaison latex.

Quand, sur le Move on up de Curtis Mayfield qui clôture le spectacle, ils imitent la gestuelle des groupes du funk et de la soul avec leur esthétique figée des années 70 et des filtres arc-en-ciel qui évoquent le générique de la série « Drôle de dames », la boucle est bouclée. Avec une vraie connaissance de ce genre musical et de sa culture, Marco Berrettini fait une pochade au cinquième degré qui permet de valoriser le potentiel comique de chacun de ses interprètes.

Crédits photographiques : Maud Blandel © Margaux Vendassi ; Marco Berrettini © Elisa Murcia Artengo

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