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Víkingur Ólafsson : le tour de Mozart et de sa banlieue en 80 minutes

Le pianiste islandais propose à sa façon une visite-express du répertoire pianistique mozartien avec, en toile de fond, une (rapide) évocation des contemporains (pré)-classiques, pour un résultat plus proche d'un patchwork superficiel que d'un projet musical pensé, cohérent et abouti. 

propose ici le portrait par très petites touches de et son époque. Dans un long texte de présentation, uniquement en anglais, il nous détaille ses relations complexes avec le compositeur et avec le style classique depuis ses années de primo-formation, ses souvenirs de certains interprètes selon lui, exemplaires (surtout Arturo Benedetti-Michelangeli dans Galuppi) et propose, quasi à la manière d'un guide touristique, un manuel d'exploration du répertoire sélectionné.

À vrai dire, ce rapide panorama nous apparaît comme une bien superficielle appropriation où domine la culture du fragment, de l'adaptation voire du prisme déformant par ces rapprochements systématiques entre d'une part Mozart, ses contemporains voire ses transcripteurs et d'autre par l'interprète. Le pianiste enfonce des portes ouvertes lorsqu'il retient comme importants contemporains « classiques » deux maîtres péninsulaires (le Vénitien Baldassare Galuppi, né un demi-siècle avant Wolfgang, retenu pour deux mouvements épars de sonates bien plus développées, ou deux sonates en un mouvement du Napolitain d'origine Domenico Cimarosa, destinées au clavecin, arrangées par l'interprète pour le piano, ici étirées à l'infini, mielleuses, enrobées, et à la limite du kitsch, sous de tels débordements stylistiques.

Côté germanique, y est convoqué pour son bref Rondo en ré mineur H. 290 d'une vélocité gracile et très lisse, sans une once de « Sturm und Drang », bien présents par exemple dans l'enregistrement d'un Vittorio Forte (Odradek).

La Sonate Hob.XVI:32 de , relevant in fine de la même esthétique – et donnée ici sans aucune reprise – peut sembler mieux venue dans ses deux premiers mouvements (malgré cette main gauche un rien trop appuyée dans les séquences d'accords ou un certain manque de nuances dans la gestion des énoncés) mais de nouveau le final Presto est expédié sans la moindre once de préoccupation stylistique, hormis celle, affectée, du « beau son » presque trop perlé. Qui veut connaître les trésors recelés par cette (magnifique) sonate se tournera par exemple vers Jean-Efflem Bavouzet (Chandos) ou Marc-André Hamelin (Hyperion) à la fois plus concernés et attentifs à la défense et l'illustration de la rhétorique classique, par une science autrement éprouvée des contrastes.

Les choix mozartiens s'arcboutent sur deux sonates antinomiques : l'aimable « facile » KV 545 et surtout la grande ut mineur KV 457 dédiée à Teresa von Trattner (donnée donc sans la longue et pathétique fantaisie KV 475 qui la préludait dans l'édition originale). L'interprète se révèle véritable caméléon stylistique, envoyant vélocement la première – entre une mécanique digitale quasi « gouldienne », mais quelque peu attendrie au fil des mouvements extrêmes et une préciosité affleurant l'andante médian – et appuyant sur la corde du tragique pré-beethovenien quelque peu outré (notamment au vu de la brutalité de l'allegro assai final) pour la seconde.

Quand au panel de « petites » pièces, il renvoie inclusivement à la sélection parue voici vingt ans chez MDG sous les doigts de Christian Zacharias, le premier interprète à avoir eu l'idée de faire – comme ici – l'impasse sur l'ultime section en partie apocryphe de la célébrissime Fantaisie en ré mineur KV 397 pour y enchaîner le Rondo KV 485 (il est vrai largement postérieur mais authentique). Mais là s'arrête la comparaison : joue la carte d'une afféterie rococo, certes très plastique, mais au prix d'une certaine indécision interprétative : le KV 494 hésite entre théâtralisation et retenue (ah! ce dernier énoncé thématique émacié dans le grave du clavier…), et le KV 485 par cette galanterie roucoulante, et un rien précipitée, devient par trop disert.

Si Olaffson se révèle sans doute à son meilleur au fil du méconnu Adagio KV 540, donné avec une pudeur amère de bon aloi, nous sommes d'autant plus surpris de la relative désarticulation agogique de la petite Gigue KV 574, que l'on a connue bien plus métrique, sous d'autres doigts.

Il nous faut évoquer aussi les deux transcriptions retenues : celle due au pianiste lui-même du mouvement lent du Quintette à cordes en sol mineur KV 516 (page sublime s'il en est) apparaît probe et réussie par son subtil éclairage polyphonique et la restitution des voix intermédiaires – même si elle ne fait pas oublier l'original, loin s'en faut. Par contre, celle, conclusive de l'album entier, de l'Ave Verum KV 618 revu par Franz Liszt presque saint-sulpicienne, élongée et enrobée par un excès de pédale, nous apparaît à l'extrême limite du bon goût.

Bref, ce programme évoquant Mozart et ses contemporains constitue un disque par moment presque trop agréable et confortable, servi par une perspective d'enregistrement très léchée certes, mais standardisée. Le pianiste au bagage technique impressionnant mais aux raccourcis et systématismes souvent irritants, au fil de ces quatre-vingt quatre minutes nous laisse la curieuse impression de vouloir, au-delà d'un « panorama » classique forcément réducteur, souvent « sucrer le sucre » voire de parfois noyer Wolfgang (et ses acolytes) sous un océan de guimauve : on pourra aimer (pour le contrôle de la sonorité) ou détester (pour la standardisation doucereuse) mais aussi y rester, au bout de quelques écoutes, totalement indifférent.

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