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Quatuor de basses pour Don Giovanni à l’Opéra Bastille

Retour de l'imposant décor piranésien de la mise en scène d'. Dans une belle distribution majoritairement renouvelée, les quatre voix graves de la partition se détachent.


Créée en juin 2019 au Palais-Garnier
, la mise en scène de Don Giovanni par , destinée à succéder au grand classique qu'était devenue celle de Michael Haneke, n'avait pas vraiment séduit la critique. Sans doute le décor monumental de Jan Versweyveld, composé de trois immeubles monolithiques modulables, est-il aujourd'hui davantage adapté à l'immensité de l'espace scénique de la Bastille. Cette structure d'inspiration piranésienne, animée de superbes éclairages, a en effet le mérite d'évoquer les enchevêtrements d'une ville méditerranéenne, symboles des multiples errances des personnages, tout en se réorientant au fur et à mesure du spectacle pour suggérer le sort qui guette le personnage central. La ligne de fuite et les volées d'escalier du premier acte disparaissent au second, le décor suggérant assez habilement l'étau qui se resserre inexorablement autour de Don Giovanni. Le rendu visuel de ces blocs massifs est de toute beauté, notamment pour des fins d'actes particulièrement réussies, grâce en partie à l'utilisation juste et forte des effets vidéo.

En dépit d'importants changements de distribution, la direction d'acteurs n'a pas beaucoup évolué depuis les représentations de 2019. Le premier degré continue à caractériser une mise en scène sans réelle imagination, qui vise surtout à retrouver, balayant les élans romantico-libertaires exacerbés au XIXᵉ siècle par E.T.A. Hoffmann, la dimension moralisatrice du livret. Notre célèbre séducteur est ici un vrai méchant, un parfait mufle doublé d'un gangster mafieux, dont le châtiment final est en totale adéquation avec les préceptes du mouvement #metoo. En dehors des échanges comiques avec Leporello, inhérents au livret et à la partition, c'est l'ambiance la plus noire qui règne autour des agissements criminels d'un Giovanni vu comme un chef de bande sulfureux, qui n'hésite pas à faire usage de son pistolet pour balayer les obstacles dressés sur son passage.

La partie musicale, quant à elle, tirerait plutôt l'opéra vers le XIXᵉ siècle, avec notamment la présence de chanteurs davantage nourris à Verdi ou à Puccini qu'aux subtilités vocales des répertoires baroque ou classique. C'est d'ailleurs la version dite « de Vienne » de 1788 qui est proposée ici, y compris le duo Zerlina/Leporello « Per queste tue manine » rarement joué sur nos scènes, mais aussi avec la suppression du « Il mio tesoro » d'Ottavio. C'est un peu dommage, car on aurait aimé entendre davantage le ténor fin et nuancé de , chanteur prometteur quoiqu'encore un peu gauche scéniquement et vocalement. Avec , très affirmé dans son Masetto quasiment révolutionnaire, est la seule rescapée des représentations de 2019. Son « Mi tradi » est très remarqué à l'applaudimètre et le portrait de son personnage, le seul présenté comme véritablement humain dans cette production, est on ne peut plus attachant. Elle possède également les notes graves du rôle, ce qui lui permet de tenir dignement les lignes vocales d'Elvire, personnage souvent ridiculisé dans les mises en scène moins « premier degré ». Chez les dames, on appréciera le dramatisme flamboyant d', tout à fait à l'aise dans les vocalises de « Non mi dir », tout en préférant le soprano fruité de , la seule des trois cantatrices à posséder une ligne et un style véritablement mozartiens. On aura gardé pour la bonne bouche le quatuor des basses. Si Timoshenko n'est plus une découverte dans ce rôle, , et feront figure de révélations. Même si la figure du Commandeur paraît quelque peu désacralisée par la mise en scène – l'apparition en marcel ensanglanté n'est pas des plus glorifiantes –, possède toute la noirceur inhérente à son rôle. , en Leporello, fait valoir un timbre d'une grande beauté et son jeu et son investissement sont très convaincants. En termes de richesse vocale et d'élégance musicale, c'est très nettement qui l'emporte. Il possède tout le panache nécessaire pour l'air du champagne, ainsi que les phrasés caressants de la sérénade. La beauté du chant rachèterait presque la vision négative du personnage telle que cette dernière est souhaitée par la mise en scène.

Dans la fosse, le chef d'orchestre assure une lecture romantique de la partition, dont il choisit de proposer une lecture symphoniste qui fait ressortir à la fois la richesse et la modernité de l'écriture instrumentale. Un spectacle déjà presque routinier, donc, dénué de véritable message, qui devrait convaincre les tenants d'une certaine tradition théâtrale et musicale.

Crédits photographiques : © Vincent Pontet/ Opéra national de Paris

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