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Fastueux testament sonore de Mariss Jansons en Bavière

Disparu le 1er décembre 2019, laisse une discographie d'une importance considérable sur le plan artistique. Le très beau coffret édité par BR Klassik met en lumière les dernières années de la carrière du chef d'orchestre letton qui prit la direction de la phalange bavaroise en 2003. Un testament musical, assurément, avec en prime, quelques concerts inédits. Peu de déceptions – toutes relatives – pour tant de merveilles !

Que ce soient les années passées à Léningrad sous l'ère soviétique puis à Oslo, Pittsburg et au Concertgebouw d'Amsterdam, a été admiré sinon vénéré par tous les artistes qu'il a côtoyés et, en premier lieu, ses confrères chefs d'orchestre. Révélé en Occident en 1971, lorsqu'il fut lauréat du Concours Karajan, il mena une carrière marquée par une forme d'humilité vis-à-vis des œuvres et la quête incessante d'un raffinement sonore, deux points communs avec son aîné, au Concertgebouw, Bernard Haitink. Dans aucun des répertoires les plus violemment expressifs qu'il ait dirigés (de Mahler à Chostakovitch en passant par la musique contemporaine), il ne fit preuve d'un quelconque narcissisme. Il apparut davantage comme un “accompagnateur” des musiciens, que le “Dirigent” que l'on pouvait attendre. Les concerts à Munich – que l'on mettra parfois en regard avec les mêmes œuvres gravées au Concertgebouw dont le chef assumait également les destinées – et les tournées à l'étranger révèlent une association pour le moins étonnante : celle d'un musicien d'une subtilité extrême face à l'un des orchestres les plus puissants et typés de la scène internationale. Une confrontation explosive qui produisit, souvent, des interprétations de référence.

BR Klassik séduit le mélomane avec des bandes de concerts inédites. C'est le cas des Symphonies n° 3, n° 4, n° 6 et n° 8 de Mahler, mais aussi du Requiem de Mozart, de la Berliner Messe de Pärt, du Concerto n° 1 pour piano et trompette ainsi que la Symphonie n° 9 de Chostakovitch. Ajoutons la Messe n° 3 de Bruckner, Roméo et Juliette de Tchaïkovski, et L'Oiseau de feu de Stravinsky. Concernant Mahler, nous disposons, de fait, d'un cycle complet. Mises en perspective avec les symphonies gravées pour la plupart avec Oslo ou le Concertgebouw, le RSO de Bavière offre des versions parfois plus abouties. C'est le cas de la Symphonie n° 9 dont chaque phrase semble portée dans une démarche testamentaire. La Symphonie n° 6 est tout aussi remarquable, tendue comme un arc avec des tempi rapides. Les couleurs de l'orchestre sont exaltées. Jansons enferme la Symphonie n° 5 dans une sorte de désolation qui concentre les chocs extrêmes. Il creuse les sons, mettant à nu les harmonies. L'orchestre possède les moyens d'une ambition aussi personnelle. La Symphonie n° 4 respire avec beaucoup d'élégance, de naturel et de fraîcheur. Nous sommes plus mitigés quant à la Symphonie n° 3 qui manque cruellement de “cœur”, de vibrations. Du finale, il ne subsiste, hélas, que le caractère grandiose. Légère déception, également, pour la Symphonie n° 1, si proche de celle d'Oslo et moins convaincante qu'à Amsterdam. L'écoute de la Symphonie n° 7 avec des ralentendos incompréhensibles et des accents nerveux déroute. Dans Bruckner, la Symphonie n° 7 apparaît davantage comme une démonstration d'efficacité orchestrale. Cela s'arrange avec des œuvres à la densité moins “spirituelle” telles que les Symphonies n° 3 et n° 6. Les cordes (quelles cordes graves et quels cuivres !) portent les tensions à un paroxysme rarement atteint. Deux lectures parmi les plus belles de ces dernières années.

Les deux autres intégrales consacrées à Brahms et surtout Beethoven impressionnent. Pour cette dernière, à chaque symphonie est associée une commande passée à un compositeur : paraphrases, en somme, d'esthétiques radicalement différentes les unes des autres et réunies en un hommage des plus réjouissants, allant de l'élégance stravinskienne (Rodion Chtchedrine) aux jeux de timbres et de rythmes multiples (Maria Staud). Les captations en concert et à Tokyo, sont d'une intensité et d'une urgence inouïes. Une seconde version de la Symphonie n° 9 est d'ailleurs proposée. Captée au Vatican, elle est plus accomplie encore que celle de l'intégrale. Les micros très proches restituent à la fois la concentration, mais aussi la puissance typée de l'orchestre. Que d'attraits dans ces pupitres rutilants même si la distribution (Krassimira Stoyanova, Lioba Braun, Michael Schade, Michael Volle) ne se hisse pas au niveau de l'orchestre ! Dans Brahms, la prise de risques, si peu assumée de nos jours, est à chaque instant. Il suffit d'écouter le finale de la Symphonie n° 2, d'une folle virtuosité et à la limite du tempo.

Au gré des écoutes, il nous faut mentionner quelques perles avant les déceptions. Ainsi, le Concerto pour orchestre de Lutosławski met en valeur l'indépendance et la personnalité des solistes. Dans cette écriture à la fois fouillée et robuste, le RSO de Bavière n'a aucun équivalent. Les solistes se déchaînent : une ivresse sonore ! Choc identique avec la Symphonie Alpestre d'une puissance dont on ne trouve guère d'équivalent. Le grain des cordes lorsque cela est nécessaire, le caractère organique et vivant de la masse granitique du son, l'éclat aveuglant des cuivres sont fascinants. Autre exemple marquant : la Symphonie n° 8 de Dvořák dans laquelle les pupitres changent dans l'instant d'atmosphère, passant d'une légèreté ensoleillée à une noirceur et une dureté d'attaque sidérantes. Il en va de même avec Schubert et Schumann dont les lectures s'inscrivent parmi les références.

Passons aux symphonies de Chostakovitch. L'impact physique se découvre progressivement dans les symphonies n° 6 et 9. Irrésistible ! Les opus déjà parus (n° 5, n° 6, n° 7, n° 10) et chroniqués font partie des grandes lectures actuelles aux côtés des versions de Gergiev, Storgårds et Noseda. L'interprétation des œuvres de Tchaïkovski se refuse à tout sentimentalisme, assumant une dureté parfois des timbres, une intransigeance dans le maintien des tempi : le modèle de Mravinsky reste en mémoire. Quel contraste avec la souplesse de la direction dans la Dame de Pique dont le seul bémol réside dans une distribution vocale en-deçà de la qualité instrumentale. Les pièces de Stravinsky manquent d'un élan charnel, de la griserie (Sacre du printemps, Oiseau de feu), mais aussi de violence expressive. Jansons passe à côté de la puissance incantatoire de la Symphonie de Psaumes. On sera plus réservé encore quant à la lecture de la Symphonie Fantastique de Berlioz, d'une distanciation qui frise le contresens. Il est rare, dans cette édition, que la captation desserve l'interprétation. C'est le cas dans le programme Haydn capté à la basilique Waldsassen. Le son est trop épais – basses indistinctes – malgré le travail de Jansons sur les nuances. Les accents du Menuet dans la Symphonie n° 88, sont grossis de manière ridicule. L'interprétation de l'Harmoniemesse souffre d'un style massif (le DVD est finalement plus instructif). Idem avec le Requiem de Mozart, d'une rigueur grandiose, mais dont l'urgence et peut-être même de la foi nécessaires font défaut.

Soulignons, pour conclure, l'ajout (remarquable) de répétitions et de deux DVD (Haydn et Schoenberg). Enfin, la durée particulièrement généreuse du coffret devrait occuper quelques week-ends…

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