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Saisissante relecture par Olivier Vernet de deux symphonies de Widor

Poursuivant patiemment une intégrale des Symphonies de Widor, nous offre pour ce volume 3 les somptueuses sonorités du Cavaillé-Coll de Caen au travers de deux grandes fresques symphoniques, pour une référence discographique de ces opus bien différenciés.

Ce nouvel album consacré à par s'inscrit à la suite de deux premiers, tour à tour enregistrés en la cathédrale d'Orléans et en l'église des Quinze-Vingts à Paris. À chaque fois il est permis d'entendre l'un des meilleurs instruments d'Aristide Cavaillé-Coll encore conservé dans un état original. Ici encore le choix de l'orgue de l'abbatiale Saint-Étienne de Caen s'avère des plus judicieux. En effet, tout l'art organistique de s'est édifié autour de l'orgue monumental de Saint-Sulpice à Paris où le compositeur fut organiste durant presque 65 ans. Pour lui l'esthétique du grand facteur Aristide Cavaillé-Coll représentait l'idéal d'un art nouveau sur lequel ses compositions pouvaient s'épanouir totalement.

Le livret du CD contient deux textes de la plus haute importance : le premier signé par Widor lui-même et qui réside en un Avant-propos placé en tête de ses éditions musicales. Le compositeur y dresse en quelque sorte au travers de considérations historiques un tableau de l'art musical de son temps et plus spécialement au niveau de l'orgue devenu pour lui un nouvel instrument, vecteur d'un langage musical adapté. Un second texte est signé de John R. Near, spécialiste de Widor et auteur d'une thèse de doctorat en 1985. Il est responsable de la nouvelle édition Widor utilisée pour le présent enregistrement. La lecture de ces lignes permet de mieux appréhender l'œuvre pour orgue de Widor au travers de ses propres réflexions et de se pencher en particulier sur les différentes versions et retouches des symphonies, opérées par l'auteur tout au long de sa vie, ainsi parfois jusqu'à cinq variantes allant du simple détail au remplacement d'un mouvement entier.

L'album propose tout d'abord la Symphonie n° 1 faisant partie de l'opus 13, publiée chez Hamelle en 1872. C'est la première composition d'importance à l'orgue pour l'auteur qui y place pas moins de sept mouvements. Il inaugure là un genre nouveau pour l'orgue, même si César Franck avait déjà ouvert une certaine voie symphonique avec sa Grande pièce op. 17. L'orgue orchestre pensé par Cavaillé-Coll et reconnu par Widor s'exprime en un discours structuré à la fois sur les bases de l'écriture de Bach et sur la grande palette des couleurs d'un instrument où toute nuance la plus subtile devient possible. Les climats se succèdent comme autant de paysages colorés ou mystérieux voire éclatants de lumière au gré du discours savant et ordonné. Que nous sommes loin des amusantes musiques légères si prisées en ce temps ! La solennité du lieu l'aide grandement, ce que démontre cette version plongée dans un équilibre acoustique des plus réussis.

Après cette première symphonie assez peu connue du grand public s'inscrit sur le disque la fameuse Symphonie n° 5 op. 42 développée en cinq mouvements. Cette œuvre d'orgue de Widor est l'une des plus enregistrée surtout à cause de sa célébrissime Toccata qui la termine. Les variations du premier mouvement permettent l'écoute d'une succession de climats orchestraux, alors que le deuxième mouvement offre un Cantabile magnifiant le récit accompagné et ses divers épisodes et rebondissements. Après un mouvement de transition plutôt rapide intitulé Andantino quasi Allegretto, un Adagio prépare par ses ambiances de jeux ondulants le déluge sonore du final, la célèbre Toccata.

En 1968, Marie-Claire Alain enregistrait à Caen pour Erato, dans la collection L'encyclopédie de l'orgue, un volume (n° 20) consacré à Widor et Gigout. On y retrouvait un extrait de la Symphonie n° 1 et la Symphonie n° 5 dans son intégralité. Cet enregistrement avait marqué une génération de mélomanes par l'excellence du discours de l'interprète, familière de ce répertoire étudié dans la classe de son maitre Marcel Dupré. Déjà la beauté de l'orgue éclairait de ses couleurs ces pages au travers d'une prise de son de Guy Laporte assez introspective. Avec les mêmes œuvres dans l'enregistrement de 2020, bénéficie d'une captation très élaborée de Roland Lopes. Ce juste équilibre sonore se retrouve également dans le jeu de l'interprète, alliant les deux statures apollinienne et dionysiaque, depuis une rigueur nécessaire et des tempi raisonnables pour une excellente élaboration du texte jusqu'à la liberté d'un discours qui rend cette musique humaine et émouvante. Ce troisième volume d'une intégrale en cours constitue une étape marquante dans l'interprétation de ces pages, qu'on ne saurait trop recommander.

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