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Françoise Kubler en solo

Membre fondateur, avec son partenaire , de l'ensemble strasbourgeois dédié à la musique d'aujourd'hui, la mezzo-soprano aborde seule le répertoire contemporain dans cette riche compilation pour voix embrassant presque cinquante ans de création sonore.

Intergénérationnel et multi-esthétique, le choix opéré par la mezzo dans ce double CD ne laisse véritablement la voix a cappella que dans trois pièces : celle de tout d'abord, Je brûle, dit-elle un jour à un camarade (1991), une œuvre singulière en hommage à Edmond Jabès dont elle emprunte les textes. La voix est envisagée comme une ligne instrumentale très plastique où les mots induisent des gestes sonores (ondulations, étirements, glissades, longues tenues, balancements, oscillations) et où la trajectoire sonore est première. Leroux casse la prosodie sans entraver pour autant la compréhension des mots : un véritable défi pour la voix de la mezzo dont la flexibilité et la clarté d'élocution sont optimales. a choisi les langues mortes (hittite, étrusque, gaulois) pour ses Trois chants sacrés. La voix est nue mais il met dans les mains de la chanteuse quelques accessoires, plaques de chrysocale (alliage de métaux) et grand tambour pour ponctuer ou scander ces chants à caractère rituel dont la voix bien timbrée et envoûtante de Kubler épouse les accents de la langue et en magnifie les couleurs. Le projet de Dusapin dans Il-Li-Ko de 1987 (texte d'Olivier Cadiot) est autre, théâtral avant tout (il préfigure son premier opéra Roméo et Juliette), où est à la fois chanteuse, diseuse et comédienne, rôle qu'elle endosse avec une aisance confondante. Le débit très versatile regarde vers Aperghis, la fantaisie et l'humour aussi, où le sens est abandonné au profit d'un flux, mi-chanté, mi-parlé, qui, finalement, devient musique. Précisons que tous les textes nous sont donnés dans la pochette du CD.

Deux pièces en appellent au dispositif électronique entraînant dans son sillage une voix « aux confins du râle et de l'implosion », nous dit la chanteuse. Dans Eon 3m, oq (poème n°3 en verlan) le jeune Coréen emprunte le support littéraire à son compatriote poète Yi Sang (1910-1937). Dans Lamento (2007) de , le texte latin des Lamentations de Jérémie comme la voix qui le véhicule sont livrés au pouvoir destructeur de l'électronique, dessinant cette trajectoire atypique (de l'étranglement au son fry) avec une virtuosité hors norme.

joue avec les mots comme avec les sons dans … Ed insieme bussarono (… Et ensemble ils ont frappé) sur des fragments poétiques de Kabîr où voix et piano () se complètent dans une « lecture » aussi heurtée que fantaisiste à laquelle les deux partenaires prêtent une énergie complice. Images et figures se projettent dans le duo voix et clarinette Puntos de Amor que récemment disparu dédie à ses amis et compagnons de route Françoise Kubler et . Le compositeur espagnol emprunte son texte à Saint Jean de la Croix, évoquant « l'oiseau solitaire » par un faisceau de lignes élégantes autant que solidaires.

Lorsqu'il s'attache à l'écriture de ses Lieder, renoue avec la tradition du genre, dans l'intimité de ton et le soin accordé à la prosodie au service de l'expression. L'accompagnement de piano y contribue également, balançant entre accords classés et atonalité. Les sensibilités de Françoise Kubler et s'accordent dans les admirables Drei Hölderlin Gedichte (2004) où la partie instrumentale infiltre une ligne vocale des plus exigeantes. Heine zu Seraphine (2008) est un cycle de sept lieder quasi enchaînés, de la retenue (1, 2) à l'exaltation (4), renouvelant les énergies et les figures pianistiques () au plus près de la traduction sonore du texte. L'engagement de la mezzo est total – proximité avec la langue allemande et nuancier de couleurs dans la voix – conférant à ces pages leur pleine envergure sonore et dramatique.

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