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La Passion selon Saint-Mathieu à Dijon : tout simplement humaine

Leonardo Leonardo García Alarcón transporte à l'Auditorium de l'Opéra de Dijon La Passion selon Saint-Mathieu donnée quelques jours avant, dans une configuration à peine différente, à La Seine Musicale.

Il est des applaudissements qui ne font pas plaisir. Ceux, par exemple, qui, par leur vif empressement, ont trop vite ramené à la réalité chacune des deux parties de La Saint-Mathieu (le chef a dû faire taire les fâcheux à chaque fois) dirigée par . Une Saint-Mathieu d'une hauteur humaine peu commune, dont les 68 numéros ont été pensés dans les plus menus détails.

On s'en doutait. On n'a pas été déçu. La plus vaste des cathédrales musicales de Bach, qui a connu tant de glorieuses versions, est édifiée cette fois par le chef argentin dont l'immense générosité, qui a même réussi à transformer le plomb des Indes Galantes en or, n'est plus à prouver, joue dans la même cour que Simon Rattle et Peter Sellars, bien qu'à la différence de la production berlinoise, il se passe de mise en scène. Alarcón joue avec l'espace : le Chœur de Chambre de Namur et le Chœur de l'Opéra de Dijon s'unissent, se divisent selon les numéros, pour disparaître totalement et très longuement du plateau avant de ressusciter dans le public au moment de conclure avec un Wir setzen uns mit tränen nieder, non sans risque, mais avec tellement d'intimité. Alarcón joue moins avec la lumière à Dijon qu'à Paris, le jeu d'orgues de l'Auditorium se contentant d'envoyer sur le chœur final le rouge d'un plein-feu. Pas davantage de chœur d'enfants pour le choral de Kommt ihr Töchter, assuré à Dijon par une poignée de voix féminines installées face public au premier rang de spectateurs. Les solistes sortent de l'ombre, y retournent, pour laisser toute la place au chœur, auquel il se joindront in fine.

Tout pour la musique, donc. Le premier accord, pas immédiatement spectaculaire dans le si vaste Auditorium (Alarcón ménage aussi ses effets), capte par un son (chœur et orchestre) d'une rare homogénéité et une plénitude qui ne se démentiront à aucun moment. La direction face public accroît la proximité de certains vitraux musicaux de cette nef sonore. Les chœurs de turbae sont tétanisants. Entre Herreweghe (2h34) et Klemperer (3h45). La Saint-Mathieu selon Alarcón (2h55), magnifiée par deux théorbes, affiche une sérénité qui sait prendre son temps et mettre au premier plan la virtuosité de chacun des merveilleux solistes virtuoses (violon solo, flûte, viole de gambe…) de sa Cappella Mediterranea.

Cette Passion a été l'objet de plusieurs changements de distribution. Ana Quintans aurait-elle été plus solaire qu' ? Celle qui fut brune et d'une diabolique perversité avec Tobias Kratzer (Lucio Silla à Bruxelles) est blonde et d'une angélique application avec Alarcón. Maria-Beate Kielland aurait-elle eu davantage de présence que , probe et musicale : Erbarme dich atteint sa cible sans effets. A la place de Thomas Bauer, compose un Jésus habité et comme physiquement ployé sous le poids d'une croix invisible. accorde son instrument avec la conception du chef : l'humain avant tout. , impérial, modèle un Mache dich mein Herz qu'on voudrait ne jamais voir finir. Enfin s'affiche en héraut de cette empathie pour tous : son Évangéliste à hauteur d'homme va droit au cœur, jusqu'aux moments où l'aigu est prêt à tous les déchirements (le sommet du reniement de Pierre).

Jouée à guichets fermés, cette Passion selon Saint-Mathieu, empêchée par la situation sanitaire, est vécue avec ferveur mais non sans mélancolie puisqu'elle scelle en quelque sorte, dans les esprits, la fin d'une ère : celle de la prolifique résidence voulue par le précédent directeur, Laurent Joyeux (Prometeo, La Finta Pazza, Messe en si….), entamée en 2018, de Leonardo García Alarcón à l'Opéra de Dijon.

Crédits photographiques: © Philippe Maupetit

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